Contexte : un système de change dual. Le Burundi vit depuis plusieurs années avec un système de change à deux vitesses : un taux officiel fixé par la Banque de la République du Burundi (BRB) et un marché parallèle alimenté par des cambistes et des bureaux de change. Le dollar américain (USD) oscille autour de 2 940 FBU au taux officiel, mais avant octobre 2025 il se négociait à plus de 7 500 FBU sur le marché parallèle. Cette prime de plus de 100 % s’explique par une pénurie chronique de devises (réserves couvrant moins d’un mois d’importations en 2023), des exportations limitées et des importateurs contraints de se tourner vers le marché noir. Selon les autorités du pays, ce marché parallèle finance environ 80 % des importations du pays.
La dualité des taux crée un terrain favorable à la spéculation. Certains burundais tant du secteur privé que du secteur public accumulent des dollars achetés au taux officiel et les revendent au marché noir, engrangeant des marges importantes. De nombreux économistes et organismes internationaux, comme le FMI, recommandent depuis 2023 d’unifier les taux et d’adopter un régime plus flexible afin de réduire les distorsions et d’attirer les investissements. Malgré ces mises en garde, le gouvernement a maintenu le contrôle et mené des campagnes ponctuelles de répression des cambistes sans s’attaquer aux causes structurelles.
Octobre 2025 : une chute de 32 % en dix jours
Entre le 7 et le 17 octobre 2025, le marché parallèle a connu une correction spectaculaire : le dollar est passé d’environ 7 800 FBU à 5 300–5 500 FBU, soit une dépréciation de 32 %. Cette baisse concernait aussi l’euro et d’autres devises. Les cambistes interrogés par certains médias ont expliqué qu’ils n’avaient jamais vu un mouvement aussi brusque et que certains bureaux de change avaient suspendu leurs activités pour éviter de vendre à perte. Dans les magasins et les stations‑service, en revanche, les prix des biens importés n’ont pas reculé, ce qui confirme que cette chute concernait uniquement le marché noir.
Pourquoi une telle dégringolade ?
Les principales explications avancées par les économistes et observateurs locaux sont :
- Francs burundais et spéculation
Certains acteurs détenant d’importantes liquidités en francs Bu (BIF) ont voulu convertir leurs francs en dollars avant une éventuelle dévaluation officielle. Certains rapports rappellent que la dualité des taux incite les officiels à acheter des dollars au taux officiel pour les revendre au noir, créant une bulle spéculative. Ce comportement peut conduire à une « prophétie autoréalisatrice » : en anticipant une dévaluation, les spéculateurs se ruent sur le marché, provoquant de fortes fluctuations.
- Afflux temporaire de devises
Lors d’événements sportifs internationaux et de visites de délégations étrangères début octobre, des devises supplémentaires auraient circulé à Bujumbura. Les médias locaux citent l’arrivée de centaines de milliers de dollars lors d’une compétition régionale ainsi que des transferts d’argent de la diaspora, ce qui a temporairement gonflé l’offre et fait chuter les prix.
- Dumping de devises par des détenteurs clandestins
Les mêmes sources évoquent un autre facteur : certains hauts fonctionnaires et commerçants qui stockaient des devises, par crainte de nouvelles réformes ou de sanctions, auraient massivement revendu leurs billets pour récupérer des francs BU. Cette vente à grande échelle a accru l’offre de dollars sur le marché noir et tiré les taux vers le bas.
- Rareté de devises pour les importateurs agréés
Les économistes interrogés soulignent enfin que la chute n’est pas due à une amélioration des exportations ou de la productivité, mais à une décision de la BRB de limiter l’accès aux devises aux seuls importateurs agréés. Ce resserrement oblige des opérateurs à se rabattre sur le marché noir et fragilise encore la stabilité des taux parallèles.
Les descentes dans le secteur minier ont‑elles joué un rôle ?
Beaucoup d’observateurs ont fait le lien entre ces fluctuations et les multiples descentes médiatisées du président Évariste Ndayishimiye dans les mines. Le 7 octobre 2025, il a donné le coup d’envoi officiel à l’exportation de quartz vert et d’améthyste vers la Chine, déclarant que désormais plus personne ne vendrait de minerais en dehors des filières légales. Dix conteneurs d’améthyste et quatre de quartz vert, soit quelques centaines de tonnes, ont quitté le Burundi ce jour‑là. Le 17 octobre, il s’est rendu sur plusieurs sites miniers de Kirundo et a promis que l’extraction et la commercialisation des minerais se feraient « dans la transparence totale », tout en reconnaissant que l’exploitation restait artisanale et visait surtout à financer l’achat de machines modernes.
Pourtant, ces opérations sont trop modestes pour expliquer un mouvement de marché d’une telle ampleur. Des économistes interrogés par certains médias rappellent que, malgré les annonces, les recettes du secteur minier restent faibles et que seuls 24 % des revenus attendus du secteur pour l’exercice 2023‑2024 sont effectivement entrés dans le Trésor public. Une étude montre que, dès 2018, une grande partie des devises issues des exportations minières n’était pas rapatriée. Les descentes présidentielles apparaissent donc plus comme des opérations de communication et d’encouragement que comme un facteur déterminant du taux de change.
Pourquoi les prix n’ont-ils pas baissé ?
Bien que le dollar se soit effondré sur le marché noir, les prix des biens importés (carburant, sucre, équipements) ne se sont pas ajustés. Cette inertie s’explique par plusieurs raisons :
- Taux officiel inchangé: la BRB a maintenu un dollar autour de 2 940 FBU. Les importateurs agréés continuent de se procurer des devises à ce taux et fixent leurs prix en conséquence.
- Stocks achetés au prix fort: les commerçants disposent de stocks achetés lorsque l’USD valait 7 000–7 500 FBU. Baisser les prix reviendrait à vendre à perte, ce qu’ils refusent.
- Inflation élevée et pénuries: l’inflation dépasse 30 % en 2025. Les pénuries de carburant et de produits de base maintiennent les prix élevés malgré l’appréciation temporaire du franc burundais.
- Volatilité et incertitude: les opérateurs redoutent un rebond rapide du dollar. Beaucoup attendent de voir si la baisse perdure avant d’ajuster leurs prix.
Conséquences et perspectives
Le plongeon du dollar n’a pas amélioré la situation des ménages burundais. Au contraire, il a semé la confusion parmi les cambistes et fait perdre de l’argent à de nombreux bureaux de change. Les économistes interrogés recommandent au gouvernement de :
- Continuer une politique monétaire stricte et éviter les dévaluations non planifiées.
- Unifier progressivement les taux de change et adopter une plus grande flexibilité afin de réduire la prime du marché parallèle.
- Intensifier la lutte contre la spéculation et le détournement des recettes en devises.
- Investir dans des secteurs exportateurs (café, thé, minerais) et promouvoir la transformation locale pour accroître l’offre de devises.
Sans réformes profondes, le marché noir restera volatil et continuera de refléter les pénuries structurelles plutôt que l’évolution de la productivité burundaise. La chute spectaculaire d’octobre 2025 apparaît donc comme un « accident de marché » causé par la spéculation et des facteurs ponctuels, et non comme un signe d’amélioration durable de l’économie.
Par Bazikwankana Edmond






