Burundi, Rwanda, RDC Congo – USA / Géopolitique : Une lettre qui a tout changé…

Une lettre oubliée d’Einstein à Roosevelt en 1939 révèle les racines de l’ingérence américaine dans les Grands Lacs Africains, semant génocides, exils et effondrement culturel.

Gitega, 5/11/2025 – Pour appréhender les tourments des Grands Lacs africains, centrés sur la République démocratique du Congo (RDC), remontons aux origines d’un document décisif. La semaine dernière, au Musée de la guerre aérienne et des blindés de vol (Flying Heritage & Combat Armor Museum)[1] à Seattle, aux États-Unis, un membre de la diaspora [2], lors d’une visite guidée par la curiosité, a exhumé une copie de la fameuse lettre d’Albert Einstein à Franklin D. Roosevelt – dite « lettre Einstein-Szilárd », datée du 2 août 1939. Intrigué, il a choisi d’en alerter le monde, liant ce vestige à une cascade d’événements qui ont remodelé l’Afrique des Grands Lacs.

En août 1939, Einstein exhorte Roosevelt à s’emparer sans délai du Congo (anciennement Zaïre, aujourd’hui RDC) pour exploiter ses immenses réserves d’uranium, vitales pour le projet de bombe atomique. Ce moment déterminant, l’un des plus cruciaux du XXᵉ siècle sur les plans géopolitique et géostratégique, marque l’entrée en scène des États-Unis dans la région des Grands Lacs Africains.

Au Burundi, cette missive scelle un destin funeste. Ingoma y’Uburundi – l’état millénaire africain du Burundi – voit désormais s’ajouter les États-Unis à l’alliance coloniale historique de la « Croix et la Bannière » [3] : ce front colonial et missionnaire, forgé au XIXᵉ siècle par le Vatican, la France (via les Pères Blancs de Lavigerie), l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et, à partir de 1935, l’Église épiscopale méthodiste africaine (AME Church). Cette intrusion accélère la destruction de l’Ubungoma, la cosmologie et spiritualité profondes des Barundi, au profit d’un christianisme imposé.

Au-delà des bouleversements au Congo, au Rwanda, en Tanzanie, en Ouganda et au Kenya – que nous n’évoquerons pas ici –, cette lettre, qui a accéléré les Indépendances en Afrique,  pose les fondations de la fin tragique de l’ordre burundais [4] :
– L’anéantissement de l’Ubungoma : La mission AME, déjà active depuis 1935 aux côtés du Vatican, visait à éradiquer les croyances ancestrales pour instaurer le Christianisme. L’arrivée des États-Unis dans la « Croix et la Bannière » en fait un accélérateur impitoyable.
– La démolition d’Ingoma y’Uburundi ( état traditionnel des Barundi ) en 1966, remplacée par une « République » (une dictature militaire) : Cela s’ouvre sur les génocides de 1961-1965 contre les Baganwa (dont Rwagasore, Birori, Kamatari etc. ), les Batabazi, Batware, Bataka, Banyamabanga, Bashingantahe et Bapfasoni, culminant avec le régicide de 1972 (assassinat du mwami Ntare Ndizeye).
– La destruction de l’Ubumu, le système socio-économique et écologique des Barundi inspiré de « Mu »  Mukakaryenda (la divinité suprême, femme-tambour sacré Karyenda) : Il cède la place à une économie de marché libérale (Capitalisme), inaugurée par le génocide contre les Hutu du Burundi de 1972-1973 [5] (500 000 morts, un million de réfugiés sur une population de trois millions d’habitants).

À leur arrivée dans les Grands Lacs, les États-Unis deviennent un acteur central de l’ « outil raciste géopolitique (géostratégique) colonial du conflit interethnique Hutu-Tutsi«  [6], mise en place dès 1911 par l’explorateur allemand Hans Meyer [7], instrumentalisé au Burundi et au Rwanda.
Depuis la Tanzanie (et la Belgique), ils fomentent le Parti pour la libération du peuple hutu (Palipehutu) au Burundi et le Front patriotique rwandais (FPR) au Rwanda. À partir de la fin des années 1980 et des années 1990, les États-Unis mènent une guerre ouverte contre la « Croix et la Bannière » – dont ils font désormais partie – pour dominer les Grands Lacs Africains. Les massacres de Ntega et Marangara au Burundi, suivis de la guerre civile burundaise [8] de 1993 à 2003 (avec les assassinats des présidents Ndadaye [9] et Ntaryamira), font deux millions de victimes barundi (morts, réfugiés, déplacés), dont les camps de concentration du Burundi de 1996-2002 [10], sur une population de six millions à l’époque.

Dans les années 2000 s’ouvre un nouveau front : la rivalité sino-américaine dans les Grands Lacs. Au Burundi, elle culmine avec la « révolution de couleur » de 2015 [11], un coup d’État déguisé qui échoue mais coûte 50 000 victimes (morts et réfugiés). Et aujourd’hui, depuis 2022, émerge un monde multipolaire qui redessine les équilibres…

Telle est l’une des retombées les plus insidieuses de cette lettre, rien que pour le Burundi. Sans même aborder le Congo, le Rwanda, l’Ouganda et tant d’autres. Une copie de la lettre d’Einstein à Roosevelt est exposée au Flying Heritage & Combat Armor Museum (Everett, au nord de Seattle : 3407 109th St SW, Everett, WA 98204), dans l’exposition « Why War? / Why War: The Causes of Conflict ». Un mur y présente des fac-similés de la missive de 1939. L’original est conservé à la Franklin D. Roosevelt Presidential Library and Museum, à Hyde Park (État de New York) – adresse : 4079 Albany Post Road, Hyde Park, NY 12538.

Références :

[1] New exhibit at flight museum explores the causes of war – https://www.heraldnet.com/news/new-exhibit-at-flight-museum-explores-the-factors-that-lead-to-war/? 5/11/2025
[2] Nahimana Karolero Pascal, Burundi : La diaspora burundaise – Du monde, de Belgique et d’ailleurs – Histoire, trajectoires et ancrage, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.
[3] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (La « Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[4] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[5] Kubwayo Félix, La lente reconnaissance du génocide de 1972 contre les Hutu du Burundi : Les faits et l’exécution du génocide par le pouvoir de Micombero, Bruxelles, 2025 | Ntibantunganya Sylvestre, Histoire d’un génocide occulté : Le Génocide des Bahutu du Burundi de 1972-1973, Ed. Sigumugani, 2025.
[6] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.    La création des fausses ethnies Hutu, Tutsi.
[7] Rugurika Mathias, Repères historiques du Burundi : Tome 1 : de la période précoloniale à l’indépendance, le 1er juillet 1962. 2022.
[8] Karolero Pascal Nahimana, La guerre civile du Burundi (1993-2003). Face à la globalisation unipolaire américaine néolibérale, le CNDD-FDD, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[9] Rukindikiza Gratien, Trahisons au Burundi : de 1962 à 1993, 2023. | Rugigana Joseph, Ma vérité sur l’assassinat de Ndadaye, éd. Iwacu, 2024.
[10] Nahimana Karolero Pascal, Camps de concentration du Burundi (1996–2002) : Les oubliés des collines – Mémoires d’un peuple enchaîné –, Bruxelles , Génération Afrique, 2025.
[11] Ndayicariye Pierre Claver, Burundi 2015: Chronique d’un complot annoncé, Bujumbura, Compress, 2020.


Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Mercredi 5 novembre 2025 | Photo : H. Diallo