Le Petit Séminaire de Mugera prépare son centenaire en février 2026, mais cette célébration efface les traces d’une colonisation violente qui a brisé Ingoma y’Uburundi et aliéné les Barundi à la Croix et à la Bannière.
Gitega, 8/11/2025 – Selon l’abbé Nimpagaritse Venant, recteur du Petit Séminaire de Mugera, cette institution de la commune Bugendana s’apprête à célébrer son jubilé de centenaire en février 2026. De nombreux travaux de développement communautaire (TDC) sont en cours, menés dans une joyeuse effervescence par d’anciens élèves, signe d’un attachement profond à cet héritage. Établi en 1926 par les missionnaires du Vatican sous la colonisation belge, le Petit Séminaire de Mugera fut la toute première école du Burundi. Au fil des décennies, il a formé 24 702 élèves, dont 400 prêtres et 15 évêques, ainsi que de nombreux intellectuels burundais de renom – parmi lesquels Ntibantunganya Sylvestre, ancien président du Burundi, et Mgr Ntuyahaga Michel, le premier évêque catholique du pays. Fondé par Mgr Julien Gorju, le premier évêque du Burundi, dédié à la Sainte Famille de Nazareth, il symbolise pour beaucoup un pilier de l’éducation et de la foi.
Pourtant, tout n’est pas si idyllique. À moins de faire preuve d’une amnésie historique flagrante, l’histoire du panafricanisme au Burundi raconte une tout autre réalité. L’histoire de la « colonialité » [1] entre les Barundi et le Vatican remonte au XIXe siècle. À travers l’alliance de « la Croix et de la Bannière » [2] – incarnée par les missionnaires du Vatican « pères blancs » du cardinal français Charles Lavigerie –, ces envahisseurs s’en prirent aux Barundi et à leur institution sacrée, Ingoma y’Uburundi [3] . De 1881 à 1903, les Badasigana, soldats du mwami Mwezi Gisabo Gisonga, remportèrent de nombreuses batailles victorieuses contre cet agresseur. Cependant, face à la Colonisation imposée par la Conférence de Berlin (1884-1885) et cette coalition occidentale, des milliers de Barundi périrent, notamment lors de la sanglante bataille de Ndago.
Entre 1920 et 1944, la « Croix et de la Bannière », pilotée par le Vatican et la Belgique, entreprit de démanteler l’Ubungoma – la cosmologie et la spiritualité des Barundi – pour le remplacer par le christianisme. Ce fut une ère de destructions méthodiques : l’exécution du muhanuzi ( Représentant de Mukakaryenda auprès du Mwami, porteur de la destinée d’Ingoma y’Uburundi, assimilé à un prophète ) Kanyarufunso Runyota en 1922 ; le Génocide des Banyamabanga (Savants, législateurs, Planificateurs et Régulateurs. Porteur de l’Ibanga : les connaissances des lois de la nature, du cosmos, et des mystères ), qui fit 50 000 victimes ; la destruction de l’institution de Karyenda, le Tambour Sacré des Barundi, représenté par Mukakaryenda [4] , dont sa conversion forcée – Ruburisoni devenant Maria Ruburisoni -. Cet acte déposséda des milliers de Hima [5] burundais [6], de Twa et d’autres acteurs socio-culturels ; la fin de l’Umuganuro, rite ancestral autour de l’Ubungoma ; le vol et la désacralisation du Tambour Sacré Karyenda ; l’implantation de catéchèses – qui devinrent les premières écoles primaires – entre 1938 et 1944, pour christianiser chaque colline [7] burundaise ; l’expropriation de terres au profit de diocèses ; et enfin, la création d’écoles supérieures pour les élites, comme Astrida à Butare ou Lovanium à Kinshasa, destinées à inculquer l’« outil raciste géopolitique colonial du conflit interethnique Hutu-Tutsi » [8], forgé par Hans Meyer [9] dès 1911. Cet instrument visait à briser l’unité sociale des Barundi et à s’approprier les terres de l’Urundi, Ingoma y’Uburundi.
Selon l’Union Africaine, la colonisation constitue un crime contre l’humanité, voire un génocide [10]. En bref, en termes de colonialité, le Vatican porte une lourde responsabilité dans l’aliénation des Barundi : d’un peuple de l’Ubungoma, ils sont devenus une majorité chrétienne. Pour les Panafricanistes, célébrer ce centenaire en février 2026, c’est d’abord se manquer de respect en tant que Murundi, manquer de respect à tous les ancêtres Barundi victimes de la colonisation, et à Ingoma y’Uburundi. Cette célébration va porter malheur au Burundi, et à tous les Barundi.
Références :
[1] Pini-Pini Nsasay, Tribunal de l’Histoire Africaine. Tome 1 : Réquisitoire contre l’Europe christianisée en hommage à E.D. Morel (1873–1924/2024), Collection Historiographie du Monde Contemporain / Éds Cheikh Anta Diop (Edi-CAD), Douala, 2024.
[2] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (La « Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[3] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[4] Ndoricimpa Léonidas et Claude Guillet, L’Arbre-mémoire. Traditions orales du Burundi, Ed. Karthala & Centre de Civilisation Burundaise, Paris, 1984.
[5] Rukindikiza Gratien, Les origines du peuple burundais : Amalgames et confusions, Paris, 2024.
[6] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025. La création des fausses ethnies Hutu, Tutsi.
[7] Mvuyekure Augustin, Le catholicisme au Burundi 1922-1962 : approche historique des conversions , Ed. Karthala, Paris, 2003
[8] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025. La création des fausses ethnies Hutu, Tutsi. | La création des fausses ethnies Hutu, Tutsi.
[9] Rugurika Mathias, Repères historiques du Burundi : Tome 1 : de la période précoloniale à l’indépendance, le 1er juillet 1962. 2022.
[10] En février 2025, l’Union Africaine (UA) a qualifié officiellement l’esclavage, la déportation et la colonisation de crimes contre l’humanité et d’actes de génocide contre les peuples africains. Cette décision, adoptée le 16 février lors de la 38e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement à Addis-Abeba, marque un tournant dans la quête de justice historique pour le continent.

Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Mardi 11 novembre 2025 | Photo : RTNB.BI]






