Alliance du Sahel : l’étincelle d’une révolution panafricaine

L’Afrique est à l’aube d’un tournant historique. Face aux ingérences étrangères persistantes et à l’inefficacité des organisations continentales actuelles, trois nations du Sahel : le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont osé prendre leur destin en main. En 2023, ces pays ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES), une union bâtie sur le courage et la souveraineté de ses fondateurs. Leur démarche audacieuse apparaît aujourd’hui comme le prélude d’une véritable révolution panafricaine, une voie nouvelle qui invite tous les pays africains à les rejoindre. Cet article d’opinion engagée défend l’idée qu’élargir l’AES à l’ensemble du continent permettrait d’accélérer l’unité politique, économique, militaire et culturelle de l’Afrique, pour enfin réaliser les rêves panafricanistes des prédécesseurs.

Contexte et création de l’Alliance des États du Sahel

L’AES est née dans un contexte d’instabilité et de désillusion envers l’ordre établi. Au Sahel, une décennie d’intervention militaire étrangère n’avait pas réussi à enrayer l’insécurité grandissante : malgré la présence de forces françaises (opérations Serval puis Barkhane dès 2013) et onusiennes (MINUSMA), le terrorisme s’est propagé du Mali vers le Niger et le Burkina Faso. Face à l’inefficacité de ces soutiens extérieurs, des militaires ont pris le pouvoir dans ces trois pays entre 2020 et 2023, s’appuyant sur un vif sentiment populaire anti-français. Dans la foulée, les forces étrangères ont été priées de quitter le sol de ces États, traduisant une soif de souveraineté retrouvée.

C’est dans ce contexte explosif que le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont signé la Charte du Liptako-Gourma le 16 septembre 2023 à Bamako, instituant officiellement l’Alliance des États du Sahel. Selon le communiqué fondateur, cette « nouvelle dynamique de coopération stratégique » vise en priorité la sécurisation de leur espace commun, tout en promouvant « l’indépendance économique » et l’intégrité de la région du Liptako-Gourma. En clair, l’AES est dès l’origine un pacte de défense mutuelle entre ces pays frères, assorti d’une volonté affichée de développement conjoint. Sa création a été précipitée par la crise nigérienne de 2023, lorsque la CEDEAO, la communauté ouest-africaine, a menacé d’intervenir militairement pour réinstaller le président renversé du Niger. Face à cette menace d’ingérence, les trois capitales sahéliennes ont aussitôt resserré les rangs : toute agression contre Niamey serait désormais considérée comme une déclaration de guerre contre Bamako et Ouagadougou. L’Alliance du Sahel s’est ainsi constituée comme un bouclier collectif « suite à la menace brandie par la CEDEAO de recourir à une intervention militaire» au Niger. Le capitaine Ibrahim Traoré (Burkina), le colonel Assimi Goïta (Mali) et le général Abdourahamane Tiani (Niger), chefs d’État de transition, incarnent cette audace : ils ont osé s’unir pour prendre en main leur propre sécurité et leur destin, offrant un exemple retentissant au reste de l’Afrique.

Les raisons du divorce avec la CEDEAO et de la rupture avec la France

Si l’AES a vu le jour, c’est d’abord en réaction à l’échec et aux dérives des structures régionales existantes. Les trois pays fondateurs sortent de relations désastreuses avec la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), et d’une rupture assumée avec l’ancienne puissance coloniale, la France. Après les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la CEDEAO a privilégié une approche punitive : sanctions économiques draconiennes, isolement diplomatique et ultimatum militaire au lieu du dialogue. Bamako, Ouagadougou et Niamey dénoncent ainsi les « sanctions inhumaines, illégales et illégitimes » imposées par l’organisation après les changements de régime. Leur ressentiment est d’autant plus grand que, pendant des années, ces instances ouest-africaines ne les ont « pas suffisamment aidés à lutter contre les violences jihadistes ». En d’autres termes, manque de solidarité et inefficacité : lorsque ces trois pays saignaient sous les attaques terroristes, les réunions et communiqués de la CEDEAO ou de l’Union africaine ne se sont guère traduits par des résultats concrets sur le terrain. « Des armées étrangères aux moyens colossaux ont été déployées, des stratégies endogènes ont été expérimentées, des rencontres sous-régionales, régionales et internationales ont été organisées sans grand succès sur le terrain de la lutte contre le terrorisme », a rappelé lucidement la ministre burkinabè Olivia Rouamba. Pire, au lieu d’une aide fraternelle, ces organismes africains ont infligé des sanctions injustes et inhumaines qui ont davantage puni des populations déjà éprouvées. Une telle absence de soutien, doublée de mesures punitives perçues comme iniques, a achevé de convaincre les juntes du Sahel de prendre leurs distances.

Le discours officiel ne mâche pas ses mots quant aux causes de ce divorce. Aux yeux de Bamako, Ouagadougou et Niamey, la CEDEAO est devenue « inféodée à la France », instrumentalisée par l’ancienne métropole qui tirerait les ficelles en sous-main. Ces trois États accusent Paris d’avoir pesé dans les décisions de l’organisation ouest-africaine, au détriment de la souveraineté de ses membres. C’est pourquoi, parallèlement à la fondation de l’AES, ils ont annoncé en bloc leur retrait de la CEDEAO début 2024. Cette décision historique, quitter un bloc régional vieux de près de 50 ans, illustre l’ampleur de la rupture. Elle s’accompagne d’une série d’actes de souveraineté sans précédent vis-à-vis de la France : dénonciation des accords militaires et expulsions des troupes françaises (le Mali en 2022, le Burkina Faso en 2023, le Niger en 2023), rappel ou expulsion des ambassadeurs de France, et cessation de coopérations jugées néocoloniales (bases militaires fermées, programmes remis en question). Les trois pays, désormais gouvernés par des régimes militaires nationalistes, ont littéralement « tourné le dos à la France » pour privilégier de nouveaux partenaires stratégiques plus respectueux de leur autonomie, comme la Russie ou d’autres puissances émergentes. Ils reprochent à Paris des décennies d’ingérence économique et sécuritaire, à l’image de l’exploitation déséquilibrée de l’uranium nigérien ou du rôle trouble de la France dans la crise libyenne. D’ailleurs, le traumatisme de la guerre de Libye de 2011 hante encore les esprits : à l’ONU, le Burkina Faso a rappelé comment une intervention étrangère menée « avec la France de Nicolas Sarkozy en tête » a plongé la Libye dans le chaos, sous le regard passif ou complice de la CEDEAO et de l’Union africaine. Plus jamais, promettent les dirigeants de l’AES, ils ne laisseront une telle tragédie se reproduire au Sahel.

En somme, le divorce avec la CEDEAO et la France était pour eux un acte de survie et de dignité. Les fondateurs de l’AES estiment avoir la légitimité populaire de leur côté : dans leurs capitales, les manifestations massives contre la “Françafrique” et les acclamations en faveur de la souveraineté en témoignent. Lassés d’un ordre régional jugé néocolonial, ils ont eu le courage de dire non et de bâtir autre chose. C’est ce « choix souverainiste » qui fait de l’Alliance du Sahel une initiative profondément légitime aux yeux de nombreux Africains, une révolte justifiée contre l’ingérence étrangère et l’inefficacité des structures existantes.

L’AES : une nouvelle voie pour l’Afrique

Au-delà du contexte immédiat, l’Alliance des États du Sahel incarne une voie inédite pour l’avenir du continent africain. Elle se distingue d’abord par ses principes fondateurs, explicitement énoncés par ses promoteurs : « souveraineté, intégration et solidarité agissante ». Ces trois maîtres-mots tranchent avec la rhétorique creuse qu’on a trop souvent entendue dans les sommets internationaux. Ici, ils sont mis en pratique. Souveraineté, car l’AES affirme le droit des nations africaines à définir elles-mêmes leurs partenaires et leur destin, sans tuteur extérieur. Intégration, car les États membres ont décidé de mutualiser leurs efforts dans tous les domaines clés plutôt que de rester isolés. Solidarité agissante, enfin, car cette alliance ne se contente pas de discours : elle prévoit du concret et de l’action collective sur le terrain.

En un laps de temps très court, l’AES a en effet élargi son champ d’action bien au-delà d’un simple pacte militaire. Initialement centrée sur la sécurité, elle s’est dotée d’une véritable « architecture de défense collective et d’assistance mutuelle » permettant à chaque pays de bénéficier du soutien des deux autres en cas d’agression. Cette interopérabilité nouvelle de leurs armées produit déjà ses premiers résultats tangibles, par exemple, la reprise de la localité stratégique de Kidal au Mali a été présentée comme un succès auquel la coordination AES n’est pas étrangère. Mais les trois États sahéliens ne comptent pas s’arrêter à la lutte antiterroriste. Leurs gouvernements de transition ont affiché la volonté de bâtir une coopération globale englobant la politique, la diplomatie, l’économie et la culture. Dès novembre 2023, des experts des trois pays se sont réunis pour planifier l’intégration économique et financière au sein de l’alliance : évaluation des ressources et potentialités communes, facilitation de la libre circulation des biens et des personnes, sécurisation conjointe des corridors commerciaux, et même étude d’un scénario de zone monétaire autonome. Ce dernier point est révolutionnaire : pour la première fois, des États de la zone franc CFA envisagent ouvertement la création d’une monnaie ou banque commune afin de « renforcer leur autonomie financière » et disposer d’un instrument monétaire qui leur soit propre. Comme le souligne la presse, cette réorientation traduit une volonté assumée de « redéfinir leur cadre de coopération régionale, en s’éloignant des institutions traditionnelles ».

Concrètement, l’AES a déjà commencé à poser les jalons d’un nouveau modèle. Sur le plan diplomatique, les trois capitales harmonisent désormais leurs positions : elles se concertent systématiquement avant les réunions des organisations sous-régionales, régionales ou internationales  afin de parler d’une même voix sur la scène internationale. Sur le plan médiatique et culturel, elles promeuvent davantage les langues nationales et l’identité africaine, en témoigne l’adoption d’une stratégie commune de communication privilégiant les langues locales dans les médias publics. Sur le plan symbolique, l’AES a lancé dès janvier 2025 un passeport commun et une carte d’identité biométrique aux normes internationales, valables dans tous les pays membres. Là où l’Union africaine peine depuis des années à matérialiser le passeport africain, ces jeunes États ont réalisé en quelques mois une étape concrète vers la libre circulation de leurs citoyens. De même, un siège tournant de président en exercice a été instauré (le colonel Goïta assure la première présidence annuelle), donnant un cadre institutionnel pérenne à l’alliance. Enfin, le passage à une Confédération des États du Sahel en juillet 2024, entériné lors du sommet de Niamey, confirme que l’AES se conçoit déjà comme bien plus qu’une coalition éphémère. C’est une véritable alternative panafricaine qui se dessine, fondée sur la confiance mutuelle et l’entraide entre voisins, sans influence étrangère.

Il n’est donc pas étonnant que « l’Afrique toute entière ait les yeux rivés » sur cette expérience inédite. Pour beaucoup de citoyens du continent, l’Alliance du Sahel représente une lueur d’espoir : celle d’une Afrique qui se lève enfin pour défendre ses propres intérêts. Ses fondateurs incarnent une fierté retrouvée, osant dire non aux diktats extérieurs. L’AES montre qu’une autre voie est possible, faite de pragmatisme et de solidarité régionale : plutôt que d’attendre le salut d’alliés lointains, les Africains peuvent s’unir et compter sur eux-mêmes. C’est un changement de paradigme majeur. Et loin d’être isolé, ce modèle ne demande qu’à essaimer.

Vers l’unité panafricaine : l’élargissement de l’AES comme catalyseur

L’Alliance des États du Sahel ne devrait pas rester l’affaire de trois pays seulement. Au contraire, son élargissement à l’ensemble des nations africaines pourrait être le catalyseur tant attendu d’une unité continentale effective, une unité souvent rêvée, rarement réalisée. Les avantages d’une adhésion large à l’AES se déploient sur tous les plans.

Politiquement, intégrer tous les États africains à cette alliance reviendrait à concrétiser la vision de Kwame Nkrumah, de Patrice Lumumba ou de Thomas Sankara : parler d’une seule voix et peser de tout son poids sur la scène internationale. Une AES élargie fournirait le cadre d’une véritable fédération africaine, où les décisions majeures seraient prises en commun dans l’intérêt des peuples. Fini les divisions entretenues de l’extérieur : un front panafricain uni pourrait mieux défendre les positions africaines à l’ONU, dans les négociations commerciales ou climatiques, et exiger par exemple une réforme du Conseil de sécurité ou une justice économique plus équitable. L’appel solennel lancé par le Burkina Faso aux « peuples sénégalais, béninois, nigérian, ghanéen, tchadien, ivoirien, comorien, bissau-guinéen et à tous les peuples d’Afrique » illustre cette urgence de la convergence. Les populations africaines sont prêtes à se mobiliser fraternellement au-delà des frontières artificielles, conscientes que leur destin est lié. En fédérant les pays du continent, l’AES élargie permettrait de dépasser les clivages hérités de la colonisation pour bâtir une communauté politique panafricaine soudée par un même idéal de souveraineté. Cela transformerait profondément l’Union africaine actuelle, souvent décriée comme un syndicat de chefs d’État inefficace, en une organisation portée par la volonté des peuples et non plus manipulée par quelques intérêts particuliers.

Militairement, l’extension de l’AES serait synonyme d’une sécurité collective renforcée. Une alliance panafricaine de défense mettrait en commun les armées et les renseignements de plus de cinquante pays, rendant possible la neutralisation rapide des conflits internes et la protection du continent contre toute agression extérieure. On pourrait enfin concrétiser l’idée d’une force africaine de réaction rapide, souvent évoquée par l’UA mais jamais opérationnelle. Si tous les pays africains avaient été unis par un tel pacte, aurait-on seulement envisagé une intervention étrangère au Niger en 2023 ? Probablement pas : la simple annonce par le Mali et le Burkina Faso qu’ils considéreraient une attaque contre le Niger comme une déclaration de guerre a refroidi les ardeurs. À plus forte raison, si toute l’Afrique avait parlé d’une voix ferme, aucune puissance n’aurait osé menacer Niamey. Avec une AES continentale, plus jamais un pays africain ne serait laissé seul face à une invasion ou à une rébellion armée. Des principes de défense collective, similaires à l’article 5 de l’OTAN, garantiraient que « toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’un sera considérée comme une agression contre tous ». Une telle mutualisation des moyens permettrait aussi de lutter plus efficacement contre le terrorisme transfrontalier, en partageant renseignements, troupes et équipements sur l’ensemble du théâtre d’opérations sahélien, centrafricain, voire au-delà. Les armées africaines, souvent sous-équipées et fragmentées, y gagneraient en professionnalisme et en coordination. Surtout, une alliance militaire panafricaine dissuaderait définitivement les ingérences extérieures : plus de bases étrangères imposées sans consentement, plus de mercenaires semant le chaos, car l’Afrique unie assurerait elle-même sa paix intérieure. C’est le rêve qu’esquisse déjà l’AES, avec par exemple le projet d’une force unifiée de 5 000 hommes pour sécuriser conjointement le Sahel. Demain, pourquoi pas une armée africaine commune ? L’élargissement de l’alliance pourrait l’amorcer.

Économiquement, une AES à l’échelle du continent accélérerait la marche vers l’autosuffisance et la prospérité partagée. Les trois pays du Sahel ont déjà commencé à mutualiser leurs ressources et projets structurants (eau, agriculture, énergie, mines, infrastructures numériques). Imaginons cette dynamique appliquée à toute l’Afrique : l’alliance pourrait favoriser la réalisation de grands chantiers panafricains (réseaux électriques transnationaux, chemins de fer inter-États, industrialisation locale) en mobilisant les expertises et capitaux de tous. Les barrières commerciales intra-africaines seraient levées plus vite encore que ne le promet la Zone de libre-échange continentale (ZLECAF) actuelle. En outre, l’AES élargie ouvrirait la voie à une union monétaire africaine véritablement indépendante. Déjà, le Mali, le Niger et le Burkina travaillent à créer leur banque régionale et questionnent leur maintien dans la zone franc CFA. Rejoints par d’autres, ils pourraient à terme instaurer une monnaie panafricaine libérée du contrôle extérieur, renforçant l’indépendance financière du continent. L’effet d’échelle jouerait également en faveur du développement : avec plus de 1,5 milliard d’habitants, l’Afrique unie sous l’égide de l’AES représenterait un marché immense, capable de négocier d’égal à égal avec l’Union européenne, la Chine ou les États-Unis. Les richesses naturelles du continent (minerais, hydrocarbures, terres arables, ensoleillement) pourraient être valorisées collectivement, en évitant le bradage unilatéral. « En développant leurs liens avec le Togo, pays de l’AES enclavés pourraient s’assurer un accès à la mer via la côte togolaise et le port de Lomé », notait ainsi un média, soulignant l’intérêt géostratégique d’étendre l’alliance à un pays côtier. Chaque nouvelle adhésion apporterait en fait son atout : un accès maritime ici, une puissance économique là, une expertise industrielle ailleurs. Par exemple, si des nations plus industrialisées ou riches en ressources (Afrique du Sud, Algérie, Nigéria, Angola, RDC…) rejoignaient l’AES, leur contribution financière et technique pourrait doper les projets communs. La solidarité économique africaine, qui est restée un vœu pieux dans l’ancien cadre, trouverait dans l’AES un levier opérationnel et agile.

Culturellement et socialement, une union panafricaine élargie consoliderait l’identité africaine et le sentiment d’appartenance à une même communauté de destin. L’AES promeut déjà l’usage des langues africaines, la valorisation des cultures locales et la formation d’une opinion publique sahélienne informée. À l’échelle continentale, cela pourrait se traduire par des échanges accrus entre étudiants, artistes, chercheurs africains, la création de médias panafricains de grande audience et la diffusion d’une histoire africaine décomplexée dans les programmes scolaires. En rompant avec la francophonie ou l’anglophonie subie, les Africains unis pourraient revendiquer un espace culturel commun, apprendre les uns des autres sans passer par le prisme européen. On peut même imaginer qu’à terme, l’alliance panafricaine adopte un symbole fédérateur, un drapeau, un hymne, une devise, pour incarner cette unité retrouvée. Ce serait l’aboutissement du rêve panafricain formulé lors des indépendances : des « États-Unis d’Afrique » solides, respectés et prospères.

Certes, ce scénario ambitieux ne se fera pas sans obstacles. Certains gouvernements africains actuels, encore inféodés à des intérêts étrangers ou craignant pour leur pouvoir, rechignent à embrasser une telle rupture. Par exemple, la Guinée de Mamadi Doumbouya, bien que dirigée par une junte sœur, a jusqu’ici déclaré ne pas vouloir intégrer l’AES, préférant demeurer dans le giron de la CEDEAO classique. Mais la pression des peuples pourrait changer la donne. Au Togo, pays voisin du Sahel, le ministre des Affaires étrangères Robert Dussey admettait récemment que « ce n’est pas impossible » que Lomé rejoigne l’AES : « Demandez aux populations togolaises si le Togo veut entrer dans l’AES, elles vous diront oui », a-t-il confié, indiquant par-là l’aspiration populaire à cette union. Ce soutien des citoyens de base, on le retrouve dans de nombreux pays où la jeunesse africaine suit avec enthousiasme les discours souverainistes d’Ibrahim Traoré ou d’AssimiGoïta sur les réseaux sociaux. Une lame de fond panafricaine se dessine, qui pourrait emporter les réticences des élites. L’élargissement de l’AES à tous les pays africains offrirait alors un cadre structurant pour canaliser cet élan en actions concrètes. Il s’agirait moins de détruire l’existant (CEDEAO, UA) que de le transformer de l’intérieur, ou de le supplanter, par une alliance réellement vouée aux peuples. Comme l’a formulé le représentant du Burkina à l’ONU, il est impératif que la CEDEAO, l’Union africaine et autres instances se muent enfin en organisations « véritables des peuples, en lieu et place de structures d’une minorité de chefs d’État », sans quoi elles continueront d’être manipulées et impuissantes. Intégrer massivement l’AES, c’est précisément redonner le pouvoir aux peuples africains unis, afin de mettre un terme définitif aux divisions fratricides et à la sujétion néocoloniale.

Un appel à l’union panafricaine

L’Alliance des États du Sahel, portée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso, est plus qu’une simple entente régionale : c’est le flambeau d’une renaissance africaine qui attend d’embraser tout le continent. En l’espace de quelques années (2022–2025), ces États ont démontré qu’avec du courage politique et le soutien populaire, il était possible de s’affranchir des tutelles injustes et de bâtir de nouvelles structures plus justes. Leur démarche est légitime et salutaire face aux ingérences étrangères qui ont trop longtemps pillé l’Afrique, face aux échecs de nos organisations continentales restées faibles ou dépendantes. Leur audace doit maintenant devenir celle de tous les Africains. Il est temps que chaque pays, du plus petit au plus grand, du nord au sud, rejoigne le mouvement et apporte sa pierre à l’édifice d’une alliance panafricaine véritablement souveraine.

Rejoindre l’AES, cela ne signifie pas renoncer à sa souveraineté : au contraire, c’est la garantir ensemble. C’est faire le pari que l’unité fait la force, que les problèmes d’un pays africain sont les problèmes de tous, et que les solutions se trouvent d’abord chez nous. C’est refuser d’être encore de simples pièces sur l’échiquier des grandes puissances, et devenir enfin les auteurs de notre propre histoire. Aux sceptiques, l’expérience du Sahel rappelle que lorsque l’Afrique se tient debout et unie, elle peut tenir tête à toutes les pressions : aucune intervention militaire étrangère n’a eu lieu au Niger, aucune sanction n’a fait plier le Mali ou le Burkina dès lors qu’ils ont été solidaires. Imaginons cette solidarité à l’échelle de 54 pays : qui oserait encore dicter sa loi à l’Afrique ? Qui pourrait l’empêcher de résoudre ses conflits internes, de valoriser ses richesses, de protéger ses enfants contre la misère et l’exil ? L’élargissement de l’AES pourrait enclencher une dynamique de libération collective sans précédent, une révolution panafricaine pacifique mais déterminée, pour que plus aucun Africain ne soit laissé pour compte.

Cet appel s’adresse autant aux dirigeants qu’aux citoyens du continent. Peuples d’Afrique, l’histoire nous regarde. L’heure n’est plus aux discours creux ni aux demi-mesures ; l’heure est à l’action unie. Soutenons nos frères du Sahel qui ont montré la voie, poussons nos gouvernants à s’engager dans cette alliance ou à en adopter les principes. Rappelons-nous les combattants de la liberté africaine, des leaders panafricanistes et de nos aïeux tombés pour l’indépendance : leur rêve d’unité a trop longtemps été trahi ou reporté. Aujourd’hui, une fenêtre s’ouvre pour le réaliser. Tous les pays africains doivent rejoindre l’Alliance des États du Sahel et construire ensemble l’Afrique puissante, solidaire et souveraine dont nous avons hérité la charge. Un proverbe dit : « Si tu veux aller vite, marche seul ; si tu veux aller loin, marchons ensemble. » Marchons ensemble, Africains, sous la bannière de l’AES, et nous irons non seulement plus loin, mais surtout plus libres. Ce sursaut panafricain, c’est maintenant qu’il faut le porter. L’avenir du continent en dépend.

Par Bazikwankana Edmond