C’était avant hier. Dans un bar que je me garde de citer, à Bujumbura. Nous dégustions de la bière avec un gigot de chèvre grillé et bien épicé. Mon ami européen de souche me demande si Nkurunziza va être finalement candidat. Je lui ai dit que l’intéressé n’a pas encore annoncé sa candidature car c’est son parti qui désigne. Et de me faire remarquer qu’il est au Burundi depuis sept ans et qu’il comprend le jeu politique burundais. Et de lâcher:  » Je sais qui dirige réellement le parti au pouvoir. C’est le conseil des sages qui a installé Pascal Nyabenda à la présidence du parti. Si le conseil des sages présente la candidature de Nkurunziza, il va passer comme une lettre à la poste! Car la majorité des militants sont derrière lui. Ils comprennent que le débat autour du mandat arrange les ennemis du système DD et que s’ils ne font pas barrage autour de lui, le pouvoir peut leur échapper. Car la communauté internationale n’aime pas les régimes populaires, j’allais dire populistes! »

Et je lui pose la question de savoir si la position de la communauté internationale peut évoluer. Il me confie ne pas être hostile à un nouveau mandat de Nkurunziza. Car cet homme a su relever le défi de contrôler la majorité Hutu tout en donnant pas mal de faveurs à des gens de la minorité Tutsie. Et d’ajouter: » Moi, je suis favorable à des élections où tous les candidats, même Nkurunziza, participent et qu’on s’incline devant le verdict des urnes. Tu sais, s’il y a ce chaos des manifestations ou des représailles, je serai obligé de rentrer en Europe. Beaucoup de familles des expatriés vont être évacuées. Ceux qui travaillent dans les ONG étrangères qui profitent de l’humanitaire attendent bien entendu l’aubaine d’une crise. Ils financent les associations de la société civile favorables aux troubles. Mais vous élites burundaises, pourquoi ne pas se retenir? Dites à ceux interprètent les accords d’Arusha que ce document est loin d’être parfait. Il a servi à vous donner une base pour arrêter la guerre. Maintenant, c’est la démocratie qu’il faut défendre et en allant aux élections. Allez y tous et quitter la logique des troubles et des ghettos ethniques. Cinq ans pour un pays ou une nation, c’est quoi? Vraiment les Noirs aiment détruire! Et je serai très déçu si le Burundi compromettait aussi follement les dividendes de la paix: un pays où on peut vivre et s’exprimer librement. Vous savez la liberté, c’est un trésor rare dans le monde. Et vous l’avez, malgré les défis.

C’est à cause de vos querelles que le pays reçoit moins de touristes et que nos amis ailleurs se demandent pourquoi nous restons encore ici. Moi j’aime dire et je le crois vraiment: vous avez un paradis, évitez de le présenter comme un enfer. » Comme j’écoutais attentivement et notais sur ma tablette, j’ai oublié de me régaler. Quand je replonge la main dans le plat, le gigot s’était refroidi! Mon paradis s’était envolé. J’ai fait signe à une serveuse pour qu’on réchauffe. Elle m’a fait remarquer que ce serait au four micro ondes et que la viande ne serait plus du même goût qu’avant. Avais-je le choix?