POINT DE PRESSE DU 22 MAI 2015

Mesdames et Messieurs les journalistes,
Mesdames et Messieurs les cadres de l’Institution
de l’Ombudsman,
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs

Bonjour.

Nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation et nous vous souhaitons la bienvenue à ce point de presse. C’est le 3ème du genre, organisé par notre Institution, depuis le début de la crise qui sévit dans notre pays il y a bientôt un mois.

La situation qui prévaut actuellement est très préoccupante. Dans cette crise, il y a eu plusieurs pertes en vies humaines. Nous présentons nos condoléances les plus attristées et notre compassion aux familles éprouvées. Nous vous prions également de vous lever pour observer une minute de silence en la mémoire de toutes les personnes ayant perdu leurs vies au cours de la crise que traverse notre pays

En effet, notre Institution de l’Ombudsman ne doute aucun seul instant de l’importance de l’information, surtout en temps de crise, pour donner objectivement la lumière sur ce qui se passe et calmer les esprits brisés. D’ailleurs, les professionnels du domaine indiquent que « l’information est à l’esprit ce que le pain est au corps humain ».

C’est dans ce sens que nous avons instauré une communication permanente avec les citoyens et autres partenaires. Tout se fait dans le cadre des activités de la Commission ad hoc que nous avons mise en place le 12/05/2015. Elle est chargée d’enquêter sur les cas de violations des droits de l’homme et autres dégâts occasionnés par la crise. C’est ainsi que des visites sur terrain ont été effectuées et des contacts ont été faits avec des personnalités de plusieurs horizons.

1. Les descentes dans les médias publics et autres lieux de crime du 15 mai 2015:

En cette date, soit deux jours après l’avortement de la tentative du coup d’Etat, nous avons visité la Radio Télévision Nationale du Burundi. Nous étions en compagnie des membres de la commission susmentionnée. A la RTNB, le Directeur de la Télévision Nationale, Nestor Bankumukunzi, nous a rassuré que la RTNB n’a connu aucun dégât matériel lors de l’attaque lancée ce jeudi 14/05/2015 par les mutins qui tentaient de s’emparer des locaux abritant la Radio et la Télévision Nationales. Le seul incident signalé est la suspension momentanée des émissions décidée par les autorités de la RTNB en vue de sauvegarder leurs équipements. La suspension a duré trois heures de 12h30 à 15h30 juste le temps qu’a duré l’attaque dirigée contre la RTNB. Aussitôt après ses émissions ont repris comme à l’accoutumée.
Le Directeur de la Télévision Nationale a néanmoins déploré des pertes en vies humaines à savoir 13 mutins tués et 4 blessés du côté des forces loyalistes.
La Commission s’est ensuite rendue sur la route RUMONGE à la hauteur du Building des Finances pour constater les dégâts sur un véhicule blindé se trouvant aux mains des mutins lors de l’attaque contre la RTNB. Les militaires trouvés sur place nous ont rapporté 4 morts et un blessé parmi les occupants du véhicule blindé fauché.
Après la route RUMONGE, les membres de la Commission se sont dirigés vers les locaux du Commissariat général de la Police Judiciaire, se trouvant à JABE en Commune BWIZA, .
A notre arrivée, nous avons constaté que les locaux de la Police ont subi d’importants dégâts particulièrement la porte principale donnant accès aux locaux qui a été défoncée par des manifestants qui tentaient d’entrer à l’intérieur pour libérer les détenus.
L’action a eu lieu le mercredi 13/05/2015 vers 15H°°. Les agents de la Police se trouvant sur place ont témoigné que plusieurs détenus ont été libérés et les cachots de la police sont restés vides. Les policiers nous ont également rapporté qu’une grenade avait été lancée à l’intérieur de la parcelle sans faire ni mort ni blessé.
Le quatrième point de la descente du vendredi 15/05/2015 était le Commissariat Municipal de la Police Judiciaire dont les bureaux sont logés dans les anciens locaux du Bureau Spécial de Recherches, à Buyenzi. Les Bureaux avaient été vandalisés par une foule de manifestants qui s’étaient rendus sur ces lieux défonçant les portes de bureaux des Officiers de Police Judiciaires, détruisant les dossiers des personnes détenues et même emportant un nombre important d’ordinateurs de service. Ils ont également emporté des motos et vélos saisis et endommagé un véhicule d’un agent de la police. Les manifestants ont enfin libéré tous les détenus qui se trouvaient à l’intérieur du Commissariat Municipal qui, le jour de notre visite, comptait zéro détenu dans ses cachots.
Tous ces événements se sont passés l’après-midi du mercredi 13/05/2015 juste après le communiqué d’environ 12h°° du putch avorté.
La Commission s’est également rendue au marché de RUVUMERA, en commune urbaine de Buyenzi, où des propriétaires des stands de marchandises étaient en désolation, tout particulièrement les vendeurs de boissons dont un nombre important de caisses avaient été emportées.
Le même jour, la Commission s’est enfin rendue à BUYENZI à la 9ème Avenue où un homme, connu sous le nom de Gasongo, avait été tué par deux inconnus. Ils l’ont poignardé. La victime a succombé à ses blessures.
En date du dimanche le 17 mai 2015 :
En ce jour, nous avons effectué une visite de contrôle à l’aéroport international de Bujumbura après que les mutins aient annoncé, le 13 mai 2015, que cet aéroport est fermé. Ici nous avons voulu nous rendre compte de l’état réel du trafic aérien qui procure au Burundi une fenêtre sur le monde. Rien n’est besoin de rappeler que notre pays est enclavé. D’où la fermeture de l’aéroport serait une manière d’ajouter le drame au drame.
Pour nous enquérir de plus d’informations, nous nous sommes entretenus avec les différentes autorités des services aéroportuaires, à savoir :

  Major Nzohabonimana Cyrille, Commandant de l’aéroport ;

  Monsieur Habimana Emmanuel, Directeur général de l’Autorité de l’Aviation Civile au Burundi ; et,

  Monsieur NIYONKURU Deus, directeur de la régulation.
Ils nous ont rassuré que la sécurité à l’aéroport était au bon fixe, en témoignaient les vols « non réguliers » tant civils que militaires enregistrés le jour de la visite ainsi que le vol commercial de SN- Brussels qui allait atterrir le soir de dimanche le 17 mai 2015, sous l’œil des caméras des chaînes de télévision.
L’aéroport n’a jamais fermé. Les appareils et le personnel sont restés en service. Aujourd’hui, tous les autres vols réguliers, c’est-à-dire commerciaux, ayant interrompu momentanément leurs services pour mesure de prudence ont déjà repris le trafic normalement. Les médias de la place en ont fait écho.

Ensuite, une visite dans les médias privés :
La crise que connaît notre pays actuellement a perturbé le bon fonctionnement des médias. Les conséquences inhérentes ont privé aux citoyens non seulement une bonne partie des sources d’information mais aussi un espace d’expression démocratique.

1° A la Radio Télévision REMA FM :
Dès qu’on arrive sur les lieux, on s’aperçoit de l’extérieur, les feuilles brûlées d’une plante ornementale qui dépasse en hauteur le mur de clôture et un grand trou causé par un obus dans le mur du bâtiment en étage, à hauteur du linteau.
Dans la cour intérieure, quatre carcasses de voitures et d’un grand groupe électrogène incendiés, des impacts de balles de différents calibres sur les murs apparaissent. Du bâtiment principal, aucune vitre n’est plus dans les fenêtres.

A l’intérieur
Tous les locaux sont vides, le sol est couvert de feuilles de papiers éparpillées, à tous les niveaux du bâtiment. Au rez-de-chaussée, ce qui fut la salle de réception, le studio radio, etc. ont été vandalisés. Aucun meuble, aucun appareil n’est trouvable. L’un ou l’autre débris d’une table. Le bureau de la caissière n’a pas été épargné et deux émetteurs (radio TV) ont été arrachés.
A l’étage, presque toutes les portes intérieures ont été arrachées avec leurs châssis, par démolition. Aucune fenêtre ne porte encore une vitre. Aucun interrupteur, aucune prise n’est plus en place. Dans la salle de régie TV, six ordinateurs ainsi que six caméras et des trépieds dans le studio TV. Il en est de même dans la salle de rédaction où, tables, machines, et onduleur ont été emportés. Dans le local de la direction, le bureau, l’ordinateur, deux routeurs, et la connexion internet ont été arrachés. Au balcon, un « faisceau radio » a été volé.
Un administratif nous explique que tout a commencé le 13 vers 17h00 lorsque un blindé, trois camions militaires, une camionnette double cabine et un camion benne ont débarqué à la radiotélévision REMA. Le blindé a braqué son canon sur l’étage du bâtiment, et les militaires ont envahi les bureaux où ils ont sommé les occupants de remettre leurs téléphones et ordinateurs portables et de sortir.

2° A la Radio Télévision Renaissance :
Après l’aéroport, l’Ombudsman s’est rendu au siège de la Radiotélévision « RENAISSANCE » où il a été accueilli par le Directeur Général, Monsieur MUHOZI Innocent. Une fois passé le portail d’entrée, on tombe sur une carcasse de voiture incendiée et une autre dont la pare-brise a été brisé. Quant aux bâtiments, on observe une partie de la façade de la maison enfumée par un incendie qui aurait pour foyer le coffre abritant le compteur électrique principal. Le niveau étage laisse voir des impacts de balle sur le mur et surtout sur les portes métalliques dont les trous en grappe mesurent plus d’un centimètre de diamètre.
A l’intérieur, bien qu’on n’ait pas pu accéder aux locaux, on s’aperçoit qu’ils ont été endommagés. Au moment de la visite, le directeur MUHOZI fait savoir qu’aucune évaluation des dégâts ne pouvait encore être faite aussi longtemps qu’on n’avait pas encore eu accès à l’intérieur pour se rendre compte de l’état des installations. Le forfait aurait été commis jeudi, vers quatre heures du matin, alors que le personnel du matin était en route pour le service.

3° A la Radio Publique Africaine (R.P.A.) :
De la route déjà, l’immeuble offre une scène de désolation : toute la façade a été littéralement arrosée de balles (certaines ont touché le bâtiment d’à côté), alors que la partie étage fait penser à un immense enfumoir.
De la cour intérieure, toute la façade du bâtiment principal est noire de fumée et accuse des impacts de balle innombrables même si tous les autres bâtiments connexes en présentent. Dans la cour intérieure, une carcasse de voiture incendiée.
Monsieur Alain NTAMAGENDERO, directeur ad intérim, explique que des gens sont entrées dans les enceintes vers quatre heures du matin. Il a demandé à l’Etat d’intervenir, par entre autres le Fonds d’aide aux Média, pour que l’entreprise reprenne vie.

4° A la Radio BONESHA-FM :
La commission a poursuivi sa tournée en se rendant au siège de BONESHA. Malheureusement, elle n’a pas pu accéder aux locaux, faute de portier pour lui ouvrir.
Le mardi 19 mai 2015, au terme d’un entretien que nous avons eu avec les représentants des médias publics et privés, la Commission ad hoc chargée des enquêtes et suivi des cas de violations des droits de l’homme a pu accéder aux bureaux et salles techniques de la Radio BONESHA-FM.
Les bureaux abritant la direction, le service commercial, la comptabilité ont été saccagés. Dans le studio B, les appareils (le mixer, les disques durs et écrans portent un ou plusieurs trous de balle de fusil. Dans la « salle de rédaction », des laptops et ordinateurs de tables ont été littéralement mis en pièces détachées.
Dans le « studio A » où on s’aperçoit que la table de mixage et les émetteurs ont été détruits.
Dans le local portant les inscriptions « programmes et technique », les dégâts sont moindres, mais le guide nous fait état de vol d’appareils photos. Sur le balcon, une installation de connexion SPIDERNET et des relais ont été complètement détruits.

5° A la Radio Isanganiro :
Le périple de la mission de ce dimanche 18 mai s’est terminé par la visite au siège de la radio « ISANGANIRO ». L’Ombudsman et la Commission ad hoc ont pu constater que les dégâts sont nettement moindres par rapport aux autres établissements visités. La serrure de la porte principale a été visiblement forcée par un coup de balle, et un impact sur la vitre de la cabine de sécurité à l’entrée est visible.
De même, aux deux étages visités, les vitres des portes de différents services ont été enfoncées. Mais le gros du matériel est dans son état d’installation. De ce fait même, la Commission a enjoint au policier chef de poste de sécurité, Monsieur BIGIRINDAVYI Jean de Dieu, de veiller à l’état des lieux afin que le matériel et les locaux restent dans l’état où nous les avions trouvés.

6° Net Press :
L’accès au siège de la Radio Bonesha se fait par le même escalier qu’un cabinet d’avocats et l’agence Net Press qui occupent le même niveau du bâtiment. Les responsables reconnaissent que ni l’agence ni le cabinet d’avocats n’a subi un quelconque dégât matériel. Par contre, ces deux établissements services sont bloqués par la mesure de garde policière qui frappe la radio Bonesha. Ils ont appelé, mardi le 19 mai 2015, à l’intercession de l’Ombudsman pour qu’ils puissent reprendre leurs activités. Pour matérialiser cette préoccupation, le Directeur de Net Press, Jean Claude Kavumbagu, nous a adressé une lettre circonstanciée le 20 mai 2015. En ce qui nous concerne, nous ne ménagerons aucun effort pour intercéder auprès des autorités habilitées.
Après la visite dans les différents médias, tant publics que privés, le constat en est que le bilan est lourd. Les dégâts sont énormes, surtout chez les médias privés qui ne parviennent plus à émettre.

Réunion avec les responsables des médias publics et privés :
Après ce constat amer, il s’est avéré impérieux de réunir le Président du Conseil National de la Communication et les différents les responsables des médias, tant publics que privés. L’objectif était de réfléchir ensemble et échanger sur les voies et moyens de sortir de cette crise que traversent les médias burundais.
Les représentants des différents médias, ayant répondu au rendez-vous, ont pris la parole tour à tour : Télé-Renaissance, Isanganiro, Bonesha, Rema, Netpress, Radio scolaire NDERAGAKURA, Directeur Général RTNB, le Directeur de la télévision nationale, LA BENEVOLENTIA et Radio Publique Africaine (R.P.A.).

Les représentants des médias privés ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis de leurs émetteurs-relais situés à MANGA et coupés unilatéralement par le Directeur Général de la RTNB. Celui-ci, en la personne de NZOKIRANTEVYE Jérôme, les a rassurés du bon état de ces installations.
Le président du Conseil National de la Communication (C.N.C.) a, à son tour, condamné avec la dernière énergie les attaques perpétrées à l’endroit des stations radios tant privées que publiques. Il a déploré que cela se soit passé à un moment où ces médias allaient être davantage sollicités. Il a souhaité qu’ils reprennent le plus rapidement leurs activités, avec l’appui du Gouvernement ou des bailleurs de fonds, afin qu’ils puissent contribuer au processus électoral. Du reste, le CNC reste disposé pour le dialogue avec les responsables des médias.
Au bout du compte, les responsables des médias privés ont recommandé ce qui suit :
1° Accès immédiat dans leurs médias pour évaluer les dégâts pour préparer la reprise du travail,
2° La réouverture immédiate des chaines de radios et télévision touchées par la crise ;
3° La sécurisation des journalistes et leurs matériels pendant l’exercice de leur profession ;
4° Respect des codes d’éthique et déontologie journalistiques ;
5° Rappel aux manifestants que les journalistes, y compris ceux de la RTNB, n’ont rien contre personne ;
6° Le dialogue permanent entre le CNC et les responsables des médias privés ;
7° La mutualisation des aides pour relancer dans un premier temps une station de radio qui regrouperait tous les journalistes en chômage.

Au regard de ce qui précède, nous nous sentons interpellé en tant qu’Ombudsman. Ainsi, nous portons à la connaissance de l’opinion nationale et internationale ce qui suit :
1° En vertu de la Charte africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance, Nous condamnons avec fermeté toute utilisation de la force pour accéder au pouvoir. Nous exhortons l’ensemble des protagonistes burundais d’utiliser des moyens pacifiques pour régler leur conflit,

2° Nous plaidons pour l’observation stricte des prescrits de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’ONU le 10 décembre 1948 et qui font partie intégrante de notre Constitution. Nous en citons avec plaisir quelques unes de ses dispositions qui militent en faveur de tout citoyen, en l’occurrence :

Article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sureté de sa personne ».
Article 7 : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination »

3° Nous demandons au Gouvernement et aux bailleurs de
Fonds de contribuer à la remise en fonction rapide des radios parce que leur fermeture crée un espace libre aux rumeurs qui ont des effets plus dévastateurs en l’absence de l’information.
4° Nous réitérons notre engagement de garder l’indépendance et de demeurer neutre et impartial dans notre fonction.
5° Nous devons la gratitude à tous nos partenaires qui ne cessent de nous féliciter et nous encourager dans les actions engagées dans la quête de la paix durable et du règlement pacifique de la situation difficile que traverse notre pays.
Nous pensons spécialement à S.E. Raymonde Saint Germain présidente de l’AOMF et Protectrice du citoyen du Canada ; à S.E. Serigne Diop, Médiateur de la République Sénégalaise et à S.E. Bachar Ali Souleymane, Médiateur de la République du Tchad.

Je vous remercie de votre aimable attention.
Que Dieu vous bénisse.