Laurent Gbagbo : acquitté mais embastillé. Fiasco de la Cour Pénale Internationale et camouflet pour la Françafrique*

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En avril 2011, le Président de la Côte d’Ivoire, L. Gbagbo est arrêté par une rébellion armée, qui a débuté en 2002, soutenue par la France (1), les États-Unis et certains Africains du style Compaoré.

Déféré devant la Cour Pénale Internationale, bien que la Côte d’Ivoire n’y ait adhéré qu’en 2013, L. Gbagbo, à l’issue d’une pseudo instruction internationale, est acquitté le 15 Janvier 2019 (2,3), après huit ans d’incarcération.

Il s’est avéré, en effet, que les procureurs de la CPI (4) n’ont pu fournir aucune preuve convaincante contre le Président ivoirien. Malgré les engagements de la Cour, ils n’ont poursuivi aucun des dirigeants de la rébellion, y compris évidemment Ouattara devenu Chef de l’État avec l’appui et la bénédiction de la France, qui, de toute évidence, étaient responsables avec notamment G. Soro de nombreux massacres (notamment celui de Duékué).

Toutefois, le Parquet a fait appel et L. Gbagbo et Blé Goudé n’ont pas été libérés. Acquittés, ils restent embastillés arbitrairement à la prison de La Haye pour on ne sait quelle durée encore ! Il n’est pas pardonné au régime instauré par L. Gbabbo d’avoir « fait peur » aux intérêts économiques et stratégiques occidentaux, notamment aux firmes chocolatières multinationales représentant un marché de 80 milliards de dollars pour la Côte d’Ivoire et bien davantage pour Nestlé, Ferrero, Cargill, et surtout Barry Callebaut, leader du négoce à l’échelle mondiale (5) !

La CPI n’a fait, depuis 2011, que jouer le jeu du pouvoir Ouattara contre la souveraineté du peuple ivoirien pour le seul compte des intérêts de quelques groupes économiques et financiers occidentaux.

Il ne pouvait en être autrement. Depuis 1993 et la Résolution 808 du Conseil de Sécurité des Nations Unies concernant le Tribunal permanent international pour Yougoslavie (6) et l’adoption en 1998 des statuts de la CPI, la justice pénale internationale n’a été qu’un instrument des grandes puissances occidentales contre des personnalités considérées comme « perturbatrices » de « l’ordre » international, parce que trop « souverainistes » !

Certes de nombreux juristes ont applaudi à la fondation de la CPI et de ce qui devait être la fin de l’impunité des responsables politiques violant le droit humanitaire, oubliant à cette occasion les violations multiples des droits économiques, sociaux et culturels et faisant surtout preuve d’illusions sur la possibilité d’une réelle « justice » politique internationale (7).

La société internationale hétérogène, marquée de profondes contradictions d’intérêts et de valeurs, n’est pas en mesure de fonder une justice pénale internationale équitable : la création de la CPI, bien que survenant plusieurs décennies après les premiers tribunaux pénaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo, juridictions au service des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, est prématurée. De l’affaire Milosevic à l’affaire L. Gbagbo, cette « justice » a été instrumentalisée par quelques puissances et la CPI a fonctionné comme une juridiction politique d’exception que l’Administration nationale de chaque État a expérimenté depuis longtemps au détriment des droits élémentaires des prévenus ! Les rapports de force à l’échelle internationale sont favorables aux grandes puissances et aux pouvoirs privés économiques et financiers : le droit international en est, pour l’essentiel, le reflet et la justice pénale internationale, la caricature !

La CPI ne pouvait qu’être sensible dans l’affaire ivoirienne aux intérêts de la France et des États-Unis (qui, paradoxalement, n’ont pas adhéré au statut de 1998) au détriment de ceux du peuple ivoirien : les « menaces » du régime Gbagbo d’écarter le Franc CFA au bénéfice d’une monnaie nationale, la présence « intéressante » de pétrole dans le Golfe de Guinée, la crainte de l’arrivée en Côte d’Ivoire de la Chine et la défense des profits des grands groupes chocolatiers transnationaux, ne pouvaient plaider en faveur de L. Gbagbo !

La Françafrique (à l’époque celle de N. Sarkozy) n’a jamais accepté l’élection de L. Gbagbo, pas davantage qu’ont été acceptés par l’Occident les leaders africains tels que Lumumba ou Sankara, par exemple !

Bien évidemment, et selon une tradition bien établie, les ingérences occidentales se sont faits au nom des droits de l’Homme, de la démocratie et de la protection des populations civiles, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour la véritable guerre menée dès 2002 contre le régime d’Abidjan de L. Gbagbo en appui à la rébellion cosmopolite du Nord de la Côte d’Ivoire, particulièrement barbare ! Avec, de surcroît, le plus profond mépris pour l’Union Africaine et ses tentatives de conciliation (8) !

En tout état de cause, la solidarité internationale en faveur de L. Gbagbo et de C. Blé Goudé permettra la confirmation de leur acquittement et leur prochaine libération. Le plus tôt sera le mieux ! Quant à la CPI, elle en est sans doute à son « crépuscule », selon l’expression du professeur Albert Bourgi. Pour une authentique justice pénale internationale, la route est encore longue.

Notes:

*Cf. L’article du professeur Albert Bourgi in L’Huma Dimanche. 24-30 juin 2019.

1. « Le QG de la rébellion, déclare L. Gbagbo, c’est le Quai d’Orsay ».

2. Bénéficie aussi d’un acquittement son Ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé.

3. Voir par exemple R. Koudou, H. Oulaye et F. Tano. Le procès de la CPI contre le Président L. Gbagbo. L’Harmattan. 2016. Claude Koudou. Des pensées de L. Gbagbo et autres. L’Harmattan. 2017.

4. Le Procureur Luis Moreno Ocampo, saisi de l’affaire Gbagbo, a travaillé comme lobbyiste auprès d’opposants de M. Kadhafi. Il serait aussi lié à des sociétés installées dans des paradis fiscaux. Quant à la Procureure en exercice, la Gambienne Fatou Bensouda et à son équipe, elles ont bénéficié de financement d’une partie des investigations à charge contre L. Gbagbo (Cf. L’article précité d’A. Bourgi) !

5. La culture ivoirienne du cacao est familiale (les paysans possédant entre 5 et 10 hectares). Ils sont mal rémunérés par les grandes firmes transnationales qui maîtrisent exportation et transformation. Quelques coopératives ont cependant été créées (par exemple, celle du Bandama) en relation avec des responsables du commerce équitable français.

6. Cf. R. Charvin. « Premières observations sur la création du Tribunal permanent international pour la Yougoslavie de la Résolution 808 du Conseil de Sécurité des Nations Unies » in I Diritti dell’Uomo (Roma), n° 1. 1993, p. 27 et s. / R. Charvin. « La CPI. Avancées et illusions », in Utopie Critique (Paris) n° 28. 2004, p. 65 et s. / R. Charvin. « L’impunité internationale des politiques et la CPI ». Les Cahiers de Nord-Sud XXI (Genève). Sans date.

7. Cf. par exemple, R. Badinter, in « La CPI. Droit et démocratie ». La Documentation française. 1999, p. 10.

8. La même attitude a été adoptée par la France de N. Sarkozy, lors de son agression contre la Libye, bloquant les initiatives de J. Ping, qui au nom de l’Union Africaine, était en mesure de favoriser une solution négociée, ce qui aurait évité huit mois de guerre contre Tripoli et huit ans de chaos faisant des dizaines de milliers de morts !

 

Source : Investig’Action