Cher confrère Jean Damascène Bizimana, Secrétaire Exécutif de la CNLG.
Reçois tout d’abord mes sincères salutations.
J’ai attendu en vain la réponse à ma lettre que je t’ai adressée à la veille de la commémoration 25ème anniversaire du génocide. Ton silence m’a inquiété, mais pas du tout surpris. J’ai appris à connaître l’environnement dans lequel tu baignes actuellement. Si tu étais en France, je suis sûr que tu serais resté la même personne, que je connaissais sur les bancs de la Fac à Toulouse. J’ai hésité, je me suis posé des questions, beaucoup de questions. J’ai pesé le pour et le contre, in fine, j’ai franchi le pas, pour t’exprimer mon (notre) incompréhension.
Toi l’intellectuel avec qui nous avons partagé les connaissances, l’esprit critique, l’analyse, l’objectivité, toi le rwandais, meurtri par la perte des proches, tes amis tutsis et surtout les membres ta famille hutue, comment en es-tu arrivé au point où tu oublies les fondamentaux du droit ?
Je connais quelques fragments de l’histoire du Rwanda grâce à toi. Tu nous as plongés dans la tragédie, lors de tes recherches en vue de ta thèse de doctorat en droit international, sous la supervision du professeur Jean Marie Crouzatier.
Te souviens-tu cher ami, quand tu écrivais dans ta thèse (2004), ces mots précieux et pleins de bon sens : « En outre, par ses décisions et jugements, le TPIR accomplit une fonction dissuasive indispensable à la paix et à la sécurité internationales. Ce tribunal a cependant vécu une profonde crise institutionnelle accompagnée de nombreux abus contraires à l’intérêt de la justice »
Des abus, tu nous en as cités, lorsque tu t’indignais, à juste titre, que ce Tribunal n’avait pas jugé les tutsi du FPR qui avaient massacré les hutu, et qu’en même temps, ce même Tribunal ne voulait pas évoquer l’attentat contre l’avion du Président hutu, commandité par l’actuel chef d’état rwandais Paul Kagame.
Entre temps, que c’est-il passé dans ta tête ?
Hier, tu critiquais les étudiants intellectuels africains, qui après leurs études en Occident, étaient incapables d’utiliser leurs connaissances et compétences pour développer votre continent. Aujourd’hui, tu fais comme eux, voire pire, parce que toi, tu contribues à la négation du droit !
Revenons un peu sur ton histoire personnelle.
Tu as été orphelin en très bas âge. Lorsque tu nous en parlais, en toute sincérité et beaucoup de tristesse, on était tous très touchés, quelques fois émus aux larmes. Je ne sais plus si tu étais hutu ou tutsi, mais je me souviens que tu as été adopté par une famille hutue. Cette précision s’impose. Tu as été nourri à la mamelle d’une femme hutue. Cette famille formidable t’a élevé, elle t’a éduqué, elle t’a construit pour te faire ce que tu es aujourd’hui. J’espère que tu l’as protégée de la haine des tutsis extrémistes.
Ensuite, tu as évolué avec tes amis hutus. Tu nous parlais d’un certain Alexis Twagirayezu, à l’époque Directeur général au Ministère du Plan et militant du parti de Habyraimana. En plus d’être ton meilleur ami, Alexis Twagirayiezu est devenu ton beau-frère. Tu as épousé sa sœur hutue. Ton beau-père Twagirayezu, était un membre éminent du parti MDR Parmehutu, qui a chassé les tutsis du trône. Pour toi, à l’époque c’était normal que les hutus se libèrent de l’oppression de la monarchie tutsie. Je me rappelle de ta souffrance, lorsque tu as appris qu’Alexis Twagirayezu avait été tué le soir du 6 avril 1994, juste après l’attentat contre l’avion du Président. Plus tard tu nous as confié que tu connaissais l’auteur de cet assassinat, un certainKarenzi Karaké , chef du bataillon du FPR qui avait son QG à l’hôtel Méridien ! Tu promettais à qui voulait t’entendre que tu lui rendras justice. Où en es-tu ?
Quand tu nous parlais de la guerre dans ton pays, tu nous disais qu’il y avait des bons hutus mais aussi des criminels hutus dont certains étaient jugés. Tu ne comprenais pas pourquoi la justice internationale devenait aveugle à l’égard des criminels tutsis. D’ailleurs sur ce point on citait l’exemple de la Serbie, mon pays d’origine. Aujourd’hui, j’apprends avec stupeur que ces criminels présumés t’ont adopté, que tu es à leur service! N’est-ce pas cela une aliénation intellectuelle? Comment un intellectuel comme toi peut-il succomber aux sirènes de l’argent et d’un pouvoir que tu qualifiais jadis de criminel, et dont tu dénonçais la radicalisation des esprits. Tu sais bien comme moi que le temps n’efface pas un crime, de surcroît un crime contre l’humanité !
Chers amis, on n’oubliera pas l’admiration que tu portais à l’égard de votre président hutu le Pasteur Bizimungu, son courage, son combat pour faire cohabiter les deux ethnies. En même temps tu fustigeais Paul Kagame et son idéologie victimaire et revanchard qui s’en prenait aux hutus qu’il réduisait au rang de citoyens de seconde zone! Il semble que Paul Kagame n’a pas bougé d’un iota sur sa politique. Mais toi, tu as renié tes convictions !
Aujourd’hui, j’apprends que ton président préféré le Pasteur Bizimungu est aux arrêts ou mis à l’écart par Paul Kagame. Qu’as-tu fait ? Tu nous parlais souvent des gens de chez toi, à Gikongoro, de tes amis, dont un certain Bernard Makuza dont tu doutais de ses capacités intellectuelles, mais qui était haut placé politiquement. Sa seule qualité était, disais-tu, d’être le cousin du Président. N’est-ce pas cela le despotisme que tu dénonçais avec hargne sur les bancs de la Fac ? Qu’as-tu fait de ton intelligence ?
Qu’est ce qu’il est devenu ton beau-frère Norbert Muhaturukundo ? Un ancien sous préfet du régime hutu. J’espère que tu n’as pas coupé les ponts avec lui. Et tes neveux hutu, ils sont nombreux, tu nous l’as dit. Que sont-ils devenus ? Que pensent-ils de toi et de ta métamorphose politique?
Enfin, j’en termine avec les chiffres. J’ai appris que tu faisais le marketing des chiffres, pour justifier le génocide des tutsis. En tant que juriste, ce génocide n’est pas discutable. Il a été commis, c’est un fait.
Est-ce que ton action n’est-elle pas plutôt une banalisation de ce génocide ? Tout ce qui est excessive est insignifiant disait Charles Maurice. Vous vous fourvoyez dans des chiffres, mais vous oubliez que la réalité est immuable !
J’ai appris que dans ton pays en 1991, la répartition de la population était la suivante, hutus : 6 791 356 (91.1%), Tutsi: 596 387 (8..4%), Twa 35 499
(0,5%).
J’ai découvert également que IBUKA et le CNLG (commission National de lutte contre le génocide) dont tu es le Secrétaire Exécutif National, a recensé sur le territoire national, un total de 1 685 784 tutsis tués, alors que les tutsis étaient en 1991 estimés à 596 387 d’après l’ONG américaine USAID. Peut-on tuer plus qu’il y en a ? Dis-moi cher collègue ?
Ton organisme CNLG, l’Association IBUKA et le Gouvernement ont recensé 1 685 784 personnes massacrées. Qui sont ces victimes sachant que d’après- toi (contrairement à ce que tu disais avant), les hutu et le twa ne sont pas morts ?
Pierre DAC disait que : « Le Droit criminel ne signifie nullement qu’on ait le droit de commettre un crime »
Inutile de te rappeler cher collègue, que dans les affaires de crimes contre l’humanité, où la compassion victimaire atteint son paroxysme, il suffit d’accuser pour que la vérité de l’accusateur triomphe, mais pour un temps certain !
Cher Jean Damascène, je te souhaite bon vent, fais attention à la tempête et reviens vite aux fondamentaux du droit.
Dimitri LUKIC-GONFRIER – veritasinfo.fr