Les services de renseignement civils ou militaires occidentaux – à quelques différences près- ont, dès 1994, concédé au régime FPR ce qu’ils n’ont jamais concédé à beaucoup de pays ou de chefs d’État africains : le préjugé favorable. Leur idée était que ce régime, même s’il montrait déjà des signes de monstruosité, restait malgré tout un bon partenaire. Dans l’esprit des Occidentaux : « il se corrigera, il nous rendra beaucoup de services et se comportera bien en général ». C’était l’esprit de la lettre que le secrétaire d’État à la Défense des États-Unis, William Perry, adressait à Paul Kagame en avril 1995. Ce dernier, ayant été adjoint discret mais efficace des services secrets ougandais, était perçu comme un allié respectable des services secrets occidentaux.
Seulement, personne n’a pris ou voulu prendre en compte sa nature et ses méthodes véritables. Sa vraie nature et ses méthodes ont pourtant été mises à nu par plusieurs hauts responsables des services de renseignement rwandais. Parmi eux, Patrick Karegeya. Il a été étranglé dans sa chambre d’hôtel en 2014 en Afrique du Sud, au point de mettre dans l’embarras le gouvernement sud-africain dans ses relations avec Kigali. Un autre haut responsable des services de renseignement rwandais, Kayumba Nyamwasa, a reçu plusieurs balles dans l’abdomen après avoir échappé à deux tentatives d’assassinats dans le même pays simplement parce qu’il avait tenté de montrer le vrai visage du régime qu’il avait longtemps servi.
Récemment, une enquête canadienne révélait que les services de renseignement canadiens avaient observé que des agents rwandais harcelaient des opposants rwandais et même des journalistes canadiens sur leur propre territoire. Ensuite, il est apparu que la Belgique est devenu « le terrain de jeux des espions rwandais » qui, là aussi, traquent des opposants et menacent des journalistes belges, critiques envers le régime de Kigali. Maintenant, la presse belge révèle que pendant que la Sûreté d’État, le renseignement civil belge, lutte contre l’ingérence des services secrets rwandais sur le territoire du royaume, son pendant militaire, le service général du renseignement et de la Sûreté (SGRS), dépendant du ministère de la Défense, « a signé en 2016 un accord de coopération avec Kigali ».
Le moins qu’on puisse dire est qu’avec le Rwanda post 1994, les pays occidentaux nagent en pleine contradiction parce qu’ils ont quelques difficultés à poser un regard froid, objectif, loin de leurs préjugés d’avant et d’après 1994 sur ce pays. Ils sont nombreux dans les pays européens et nord-américains à ne pas vouloir admettre qu’ils se sont trompés ou qu’ils se trompent encore lourdement avec leur politique à courte vue sur le Rwanda. Ce pays n’a ni la tolérance ni l’ouverture qu’apprécient tant les Européens ou les Nord-Américains. La preuve en est que les dirigeants occidentaux et leurs services de renseignement sont mis en difficulté de clarifier le comportement des agents de Kigali dans les pays démocratiques. L’erreur étant humaine, il n’est pas ridicule de reconnaître que l’on a commis de « petites erreurs ».
De toute manière, la propagande massive et régulière du régime rwandais dans les médias occidentaux ne changera rien à sa nature profonde. Même ses voisins s’en plaignent. Le président burundais Pierre Nkurunziza a accusé le Rwanda « d’agression armée » après une attaque meurtrière d’un poste militaire près de la frontière en novembre dernier. Il a demandé la condamnation des pays membres de la région des Grands Lacs qui se murent, avec la communauté internationale, dans un silence de morts.
Charles onana
Politologue