
Non content d’avoir gelé toute aide américaine en route pour l’Ukraine – alors que des livraisons devaient encore s’échelonner jusqu’en 2026 – Donald Trump lui a aussi coupé l’accès aux renseignements. Or, si Kiev possède, selon diverses estimations, encore assez de munitions pour six mois, cette rupture-là pourrait avoir un impact immédiat sur le cours de la guerre.
Une source ukrainienne l’a confirmé au Guardian: le flux de renseignements américains a “complètement cessé”, y compris pour l’armée ukrainienne et les agences de sécurité nationales. Selon l’analyste britannique Oliver Alexander, Kiev est dorénavant privée de toute imagerie satellite américaine, et pas seulement issue des satellites d’observation du Pentagone. La société privée Maxar Technologies, spécialisée dans l’imagerie satellite, et dont les données sont commercialement accessibles, a, elle aussi, coupé les accès. En toute logique, les services de Starlink devraient suivre.
Le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Mike Waltz, a assuré que le blocus sur les renseignements, de même que celui sur l’aide militaire, serait levé si les négociations de paix progressaient suffisamment. D’ici là, non content d’affaiblir l’Ukraine, Donald Trump la rend sourde et aveugle aux coups des Russes.
Ce n’est pas une vue de l’esprit: sans les observations américaines, les Ukrainiens ne peuvent pas anticiper les vagues de missiles ou les raids de bombardiers russes. Poutine en profite déjà, car cette cécité soudaine coïncide avec un raid massif mené durant la nuit. Les infrastructures énergétiques et gazières de plusieurs régions d’Ukraine ont été ciblées, de même que la ville de Kharkiv, où quatre personnes ont été blessées.
Des bombardements auxquels les Ukrainiens risquent de ne plus pouvoir riposter, si l’embargo américain sur le renseignement concerne aussi les cibles situées à l’intérieur de la Russie. C’est ce qu’ont suggéré des responsables ukrainiens au quotidien britannique, et cela gênera fortement les frappes en profondeur sur le secteur pétrolier russe. De facto, en prenant cette décision, Trump protège l’économie pétrolière parallèle mise en place par Vladimir Poutine, au grand bénéfice de ce dernier et de son économie de guerre.
Aide française et britannique
Les Britanniques ont toutefois assuré qu’ils continueraient à fournir des renseignements à l’Ukraine, en précisant qu’ils ne transfèreront pas de données brutes venues des agences américaines. Les moyens britanniques “n’ont pas la même portée que les capacités militaires américaines, n’ont pas la même échelle et ne peuvent pas les remplacer”, a concédé un initié de la Défense britannique. Mais elles peuvent quand même fournir un système d’alerte précoce face aux raids russes. Le ministre français des Forces armées Sébastien Lecornu a également garanti les services des “renseignements souverains” de son pays à Kiev.
Cela reste néanmoins une perte sèche de vision globale, pour l’armée ukrainienne. Elle se retrouve avec un territoire plus vulnérable aux frappes alors que ses meilleures défenses antiaériennes se retrouvent en stock très limité. Pire encore, elle ne peut plus scruter aisément les mouvements de troupes des Russes de l’autre côté de la frontière. Ce qui offre à l’armée de Poutine le luxe de la surprise. Une nouvelle concentration de forces dans le nord pour attaquer Kharkiv serait par exemple bien plus difficile à anticiper, selon Jade McGlynn, du King’s College de Londres.
Des civils vulnérables
“Nous avons nos propres agents de renseignement, nos services satellites et nos agents en Russie”, a nuancé alerii Riabykh, rédacteur en chef de la société de conseil Defence Express. “Cela suffit pour frapper des objets stationnaires à l’intérieur de la Fédération de Russie.”
Même si l’Ukraine ne compte pas cesser de résister et dispose de ses propres sources — comme des partisans dans les territoires occupés, voire en Russie même — il n’empêche que de la Maison-Blanche souffle un vent très favorable à Poutine. Cela se traduira par des morts, en particulier des civils, laissés sans préavis ni défense efficace face aux missiles et aux drones russes. Des morts qui seront directement imputables à Donald Trump.
Matthias Bertrand. Source: The Guardian