Thomas Sankara a prouvé que venir d’un des pays les plus pauvres au monde n’empêchait ni d’être ambitieux ni d’être digne. Les Burkinabés en conservent une fierté. De Ouagadougou à Bobo Dioulasso, le sourire du capitaine se retrouve aujourd’hui sur des tee-shirts, des autocollants, des pagnes. Dans les esprits, Sankara reste vivant. Il a survécu à la « rectification », cette campagne initiée par Blaise Compaoré qui lui a succédé et dont le but était d’effacer toute trace de lui.
« Nous voulions le venger »
« Tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ! », avait prédit le leader révolutionnaire. « Thom’ Sank’», comme on le surnomme, est revenu sur le devant de la scène à la faveur de l’insurrection de 2014 au Burkina Faso. Celle-ci est née d’un mouvement populaire destiné à rejeter la révision constitutionnelle qui aurait permis à Blaise Compaoré de se présenter pour un cinquième mandat après vingt-sept ans de règne. Les manifestants étaient alors animés par une forte volonté de dégagisme politique mais pas seulement. « L’esprit de Thomas Sankara était là, au milieu des cortèges, se souvient Eric Kinda, porte-parole du Balai citoyen, un mouvement issu de la société civile qui a joué un rôle décisif en 2014. Son nom revenait sans cesse dans nos débats et nos discussions. Il nous guidait, nous motivait. Si cette insurrection a abouti, c’est aussi parce que nous voulions le venger. »
Les idées sankaristes ont dépassé les frontières de l’ancienne Haute-Volta, rebaptisée par Sankara Burkina Faso, littéralement « pays des hommes intègres » en moré et en dioula, les deux principaux idiomes du pays. Figure de l’anti-impérialisme et farouche défenseur de la libération des peuples, Thomas Sankara est cité comme le président de référence de la jeunesse africaine, chanté sur des airs de reggae par les Ivoiriens Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly, cité dans les raps du Burkinabé Smockey ou du Sénégalais Didier Awadi, qui a même lancé un appel pour que l’idéologie sankariste soit enseignée dans toutes les écoles du continent. En France, il a aussi ses fans comme le rappeur Nekfeu qui, dans son titre Vinyle, promet : « J’peux devenir un homme en or comme Sankara. » Enfin, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), c’est une fresque de 33 mètres qui lui rend hommage sur le mur d’un immeuble de la cité Pierre-et-Marie-Curie.
« Oser lutter, savoir vaincre »
Le capitaine burkinabé est perçu comme le « Che Guevara africain », celui qui s’est dressé contre les injustices, celles des puissances occidentales et de leurs multinationales. A l’heure où un sentiment antifrançais se propage dans le Sahel, jusqu’à demander le retrait des militaires français de l’opération « Barkhane », ses discours anticolonialistes refont surface : « Un peuple conscient ne saurait confier la défense de sa patrie à un groupe d’hommes quelles que soient leurs compétences. Les peuples conscients assument eux-mêmes la défense de leur patrie. »
Et ailleurs ? Dans un monde où du Chili au Liban et de la France à l’Irak, les citoyens dénoncent, souvent violemment, les collusions entre les élites économiques et politiques, on retient de Thomas Sankara l’image d’un président obsédé par la bonne gouvernance et l’exemplarité de son gouvernement. Celui qui préférait « faire un pas avec le peuple que 1 000 pas sans le peuple » a réduit drastiquement le train de vie de l’Etat pour construire des hôpitaux, des écoles, des puits, lancer des campagnes de vaccination… Aujourd’hui, son portrait apparaît régulièrement au cœur des manifestations. A Bordeaux comme à Dakar ou à Bamako, le capitaine surgit parfois avec son béret rouge orné d’une étoile. Ses slogans ont traversé les luttes : « Quand le peuple se met debout, l’impérialisme tremble », « Oser lutter, savoir vaincre », « Seule la lutte libère », « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple »…
https://www.lemonde.fr/