Tout le monde s’accorde pour dire que c’est son tweet du 7 avril 2020 qui a fait déborder le vase. Il déclare: « Chaque Rwandais commémore ses êtres chers. C’est l’objectif de Kwibuka. Personne n’a droit de dire aux autres quand et comment commémorer.» Son tweet répond à son interlocuteur qui, d’abord lui dit que ce n’est pas le moment de commémorer les femmes et les hommes politiques assassinés le 7 avril 1994, et ensuite, se moque de lui, quand Nduhungirehe réaffirme sa position de les commémorer. Son « follower » au nom de Lonzen Rugira, lui notifie cette fois-ci que ses propos rappellent ceux tenus par une femme (dont il n’a pas cité le nom) au mémorial de Gisozi. Le Secrétaire d’Etat lui rétorque que ce n’est pas le moment d’intimidation! Rarement, on l’aura vu sérieusement atteint. A la seconde, bien que réellement son tweet ne dégageait rien d’anormal, il a compris que ça pouvait lui coûter cher dans un régime intraitable et intolérable sur ce sujet. C’est ce qui fut fait trois jours après. Nous avons contacté l’Amb Nduhungirehe pour lui demander si son éviction était liée à ces échanges sur twitter, il a répondu en deux mots: NO COMMENT.
Le Général-Président se sépare du plus combatif de ses soldats! Y a-t-il d’autres raisons?
C’est une information qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive depuis la révocation. Pour diverses raisons, certains s’en réjouissent, et d’autres, sur les réseaux sociaux manifestent la sympathie envers l’homme qui est suivi par plus de 112 mille personnes sur Twitter! Amb Olivier Nduhungirehe aura été l’homme le plus controversé et le plus phénoménal, qui, depuis près de 15 ans, n’a ménagé aucun effort pour défendre le régime actuel, en tout et n’importe quoi. Mêmes les critiques de bonne foi envers le régime de P.Kagame, avaient droit à ses réactions désobligeantes.
La nouvelle est tombée hier soir, dans un communiqué émanant de la Primature, pour annoncer qu’en date du 09 avril 2020, le Président de la République avait démis de ses fonctions Amb Olivier Nduhungirehe « pour avoir agi constamment selon ses opinions personnelles plutôt que sur la ligne politique du gouvernement, alors qu’il était Secrétaire d’Etat au Ministère des affaires étrangères et la coopération internationale, en charge de la Communauté de l’Afrique de l’Est. »
Plus catholique que le Pape?
Jours et nuits, corps et âme, il aura été sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Twitter et Facebook pour encenser le régime de Paul Kagame, mais aussi et surtout pour tenter, coûte que coûte, de contrer toutes les critiques envers l’action du gouvernement. Mais, selon plusieurs observateurs, certains dignitaires du pouvoir étaient embêtés de le voir avec beaucoup de zèle, excès de confiance, et trop communicatif. A ce sujet, il faut remarquer que d’autres membres du gouvernement répondent très rarement aux sollicitations des médias libres et indépendants, ce qui est déplorable. On peut reprocher tout à l’Amb Nduhungirehe, mais, mêmes les plus grands médias comme VOA et BBC vous diront qu’il était le seul au gouvernement qui pouvait répondre aux interviews. Encore une fois, il en étonnait plus d’un, en abordant tous les domaines!
Un analyste politique, anonyme, explique que cette omniprésence de Nduhungirehe était devenue embarrassante pour le Front Patriotique Rwandais (parti au pouvoir depuis juillet 1994 par la voie des armes). Il ajoute que l’homme fort de Kigali n’aime pas trop quand un collaborateur semble occuper du terrain publiquement. Dans le communiqué de limogeage, on précise que ce qu’on reproche à Nduhungirehe, était devenu une mauvaise habitude. Au regard de ses différentes et multiples sorties en communication, certains avaient prédit une ultime disgrâce de sa part, et que, c’était une question de temps.
Dr Mateke s’inquiète pour sa sécurité!
Par exemple, en date du 25 janvier 2020, son homologue ougandais Dr Philemon Mateke, (très touché et déçu par les allégations de Nduhungirehe, selon lesquelles Dr Mateke aurait collaboré avec les assaillants de l’attaque de Kinigi en 2019), le Secrétaire d’Etat ougandais avait déclaré le 25 janvier 2020: » Quant à mon homologue, l’hon. Nduhungirehe, qui je crois est, dans l’âme, un homme décent, souvenez-vous que le temps viendra où vous ne serez plus utile à ce poste, et vos maîtres actuels, comme ils l’ont fait pour beaucoup de vos prédécesseurs, ils se débarrasseront de vous, et si la chance vous sourit pour survivre, vous aurez l’occasion de raconter l’histoire. » Et après l’annonce de la destitution, Dr Mateke a tweeté: « Je l’avais prévenu! Le problème avec ces jeunes, c’est qu’ils n’écoutent jamais les aînés. Ils obtiennent un peu de pouvoir? et ça leur passe dans la tête. Je fais de la politique depuis 55 ans. Mais maintenant, je m’inquiète pour sa sécurité. Ensuite, il sera accusé d’une sorte de crime de trahison. » D’autres, qui étaient convaincus que sa chute était imminente, avaient même des articles et des caricatures soigneusement préparés et mis en attente pour le jour J et l’heure H.
Dr Mateke ne sera pas le seul à s’être indigné à l’étranger. Amb Olivier Nduhungirehe pouvait facilement réagir ou prendre à partie sur les réseaux sociaux les personnalités étrangères. Il est difficile de croire qu’il y mettait toute son énergie sans feu-vert de celui qui l’avait nommé. Ce qui est possible, (et ça vaut aussi pour d’autres acolytes du régime), c’est qu’il pouvait prendre des initiatives en se basant sur les intentions connues d’avance de la part de la tête de l’Etat. Parfois, c’était trop osé et scandaleux. L’exemple le plus frappant fut celui des propos qu’il avait tenus à l’endroit de la Ministre des relations internationales, sud-africaine, Lindiwe Sisulu. C’était en décembre 2018. Considérant que les propos, du Secrétaire d’Etat rwandais, n’avaient suscité aucune réaction de la part des plus hautes autorités du Rwanda, l’Afrique du Sud avait considéré qu’il jouissait de leur soutien. A l’époque, P.Kagame avait dû intervenir pour tenter de donner une autre version des faits et minimiser l’affaire!
Les conséquences de l’éviction
Il est reproché à l’Amb Olivier Nduhungirehe d’avoir exercé ses fonctions selon ses opinions personnelles au lieu de le faire selon la ligne gouvernementale. Ce n’est pas une affaire anodine, dans un pays sous un régime d’un si dur autoritarisme. Pire encore, son tweet, est perçu par le régime comme une « hérésie » ou crime de lèse-majesté. Il avait accepté (et il promet, dans son tweet d’hier, de continuer à servir le gouvernement). Quand Dr Mateke dit craindre pour la sécurité de Nduhungirehe, il le dit en connaissance de cause. Pour Dr Mateke, ce serait miraculeux que son ancien homologue échappe à la colère de l’homme le plus redoutable de la région. Parfois, quand P.Kagame décide d’éjecter un collaborateur, il lui accorde une sortie honorable, en lui demandant discrètement de démissionner au lieu d’être limogé. L’Amb Nduhungirehe n’a pas bénéficié de cette possibilité. C’est un signe qui ne trompe pas. L’affaire est gravissime. Depuis des années, on assiste toujours à une issue malheureuse de ceux qui collaborent ou se mettent au service du régime autoritaire du Général Paul Kagame. Mêmes certains de ses compagnons de guerre en ont payé le lourd tribut. Il y en a qui ont été gratuitement jetés en prison, d’autres ont pris le chemin de l’exil, et comme l’affirment plusieurs rapports internationaux, d’autres ont été assassinés tant à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Evidemment, d’aucuns se demandent comment des femmes et des hommes raisonnables ne tirent aucune leçon sur ce qu’on observe depuis près de trois décennies. Avec un tweet comme celui-là, avec tout ce dont on est capable de monter en toutes pièces, tout peut tomber sur le dos de quelqu’un, et ce ne serait pas une première. Les exceptions à la règle existent aussi au pays des mille collines. On verra si l’Ambassadeur saura trouver une porte de sortie.