Francois CizaÇa faisait 15 ans que j’ai quitté le Burundi pour m’installer en Europe plus précisément en Belgique. Dans ma petite cervelle, l’image réelle et vraie du Burundi était celle de l’époque de Pierre Buyoya, celle du règne de l’autre Pierre, je ne l’avais que par internet et réseaux sociaux.
Nous sommes en juillet 2016, l’envie d’aller au Burundi voir mon papa qui vieillit dangereusement prend le dessus, mais comment m’y rendre alors que l’image du Burundi dans les médias internationaux, sur internet, sur les réseaux sociaux, dans la bouche de l’opposition burundaise, dans les milieux politiques et organisations occidentaux, est un pays au bord du gouffre avec un pouvoir au pied du mur, un pays où le génocide est en cours, un pays où il faut des policiers et des militaires onusiens pour secourir et protéger la population en détresse ? Comment m’y rendre alors que dès le départ j’avais pris part aux différentes manifestations anti 3eme mandat organisées en Belgique ? Je risque d’être « lessivé ». Entre temps mon vieux papa insiste, il faut que j’aille le voir tant qu’il respire encore. Mon cœur balance, balance, et balance.
Je décide de partir à mes risques et périls, mais avant d’acheter le billet d’avion, je m’informe auprès d’un ami à moi qui est membre influent du CNDD-FDD, je lui fais part de mon désir de faire un saut au Burundi et mes inquiétudes y relatives. Très content de m’entendre parler de mon voyage au Burundi, il est en même temps surpris. Il tente de me rassurer par tous les moyens possibles. En ma présence, il prend son téléphone et appelle un VIP (very important person) à Bujumbura en lui disant en Kirirundi « Amahoro chefu, aha ndikumwe, numugenzi wanje ari muri bamwe bataye umurongo, ngo ni ba sindumuja, yagomba gusimbira aho i Bujumbura, none nagerageje kumuhumuriza ko atangorane azogira mais mbona agifise akangonongono sinzi ko womfasha kumwumvisha ko tout va bien au BURUNDI ». Evidemment, ils ont compris mes inquiétudes et en même temps ils m’ont rassuré. Sur parole, je les ai crus.
Je dois alors acheter mon ticket d’avion, j’hésite entre SN Brussels qui arrive vers 19 heures à Bujumbura ou ethiopian airlines qui arrive vers 13 heurs. Je préfère SN Brussels pour passer inaperçu car à 19 heures, il fait obscur à Bujumbura. Pas question de m’exposer au soleil de Bujumbura aux yeux de tout passant, on ne sait jamais. Je prends mon passeport belge et mon ticket d’avion, je me rends à l’ambassade du Burundi à Bruxelles pour demander le visa. Dès que j’entre dans l’ambassade, je suis étonné par deux choses : d’abord le nombre impressionnant des demandeurs de visa permis lesquels certains « sindumuja » comme moi, on se regarde, on se salue et on murmure « na wewe ugiye i Bujumbura ? ». Là j’ai compris que finalement les burundais sont à craindre, même parmi les « sindumuja », chacun a son agenda, chacun a son but, chacun a son chemin, chacun a ses secrets que l’autre ne sait pas. Autre chose qui m’a étonné, c’est le traitement de la demande de visa qui ne se fait plus sur place. Désormais les demandes sont envoyées à Bujumbura pour traitement, ce n’est donc pas gagné d’avance. Heureusement que mon départ était un peu plus loin. Je devais attendre la décision d’octroi de visa en toute sérénité.
Le jour J arrive, je pars. Dans l’avion, j’entends des conversations en Kirundi, je ne suis pas le seul, mais j’ai un sentiment mitigé sur ce qui va m’arriver au Burundi et sur ce que je vais voir. A 19 heurs 15 min, nous arrivons à l’Aéroport international de Bujumbura, peur au ventre, je descends de l’avion, je fais mes premiers pas sur le sol burundais, je respire profondément l’air pur, l’air bio de mon pays d’origine. Je prends mes bagages et une voix m’appelle, c’est un ami d’il y a longtemps qui travaille à l’OBR, il fait semblant d’inspecter mes bagages, on s’embrasse, on papote, on rigole, il me présente à ses collègues hutu et tutsi. Ça commence bien.
Je sors avec mes bagages, je trouve une foule immense venue m’accueillir, les amis, les copains, les cousins, les cousines, les neveux, les nièces, les tontons, le je suis ébahi, ce n’est pas possible ! Tous sont enthousiastes, bien habillés et bien à l’aise. J’évite de poser des questions, j’ai hâte de voir mon papa. Mon tonton me prend la main et m’informe du programme à suivre (on dépose les bagages à la maison, ensuite, on va prendre un verre dans un bar etc..). Je lui réponds automatiquement que je ne suis pas d’accord parce que le pays est au bord du gouffre, le pouvoir est au pied du mur, que la sécurité est pratiquement inexistante etc… Il me regarde, il rigole, et il me dit, mon fils, ça c’est le Burundi de l’Europe que tu me parles, monte dans la voiture et tu vas voir.
Nous quittons l’Aéroport à 20 heures 50 min direction Mutanga nord. Pour me montrer le vrai visage de Bujumbura, nous prenons l’itinéraire de Buterere, Mutakura, Kinama, kamenge, boulevard du 28 Novembre, Mutanga Nord. Moi qui me disais que la nuit, Bujumbura est foutue, je tombe des nues quand je vois combien des gens circulent dans les quartiers, les bistrots remplis, le commerce au bord des routes est dense, des va et viens de la population, c’est incroyable. Non je n’en reviens pas, ce n’est pas le Bujumbura qui était dans ma tête. 21 heures 35 min, nous arrivons à la maison, afin, je revois mon cher papa 15 ans après. L’émotion est grande.
X temps après, nous partons prendre un verre dans un bistrot à 3 km de la maison, nous prenons place, il y a beaucoup de monde, surtout des fonctionnaires et des commerçants. Je regarde à gauche, à droite, devant et derrière, j’avais vraiment peur qu’on nous lance une grenade ou qu’on nous tire dessus. Viens le moment de faire une commende, et là j’entends mon oncle qui dit avec un ton autoritaire « Wewe upima, nyaruka hano », le barman arrive le dos courbé (par respect ou par crainte, je sais pas). « Tuzanire ico kunywa sha, kandi unyarutse, attention unzanire Amstel imeze neza, ikanye kumategeko, kandi iri consigné, hama uce uhamagara veterinaire nawe aze hano ». Là, j’ai compris que le Burundi n’a pas changé, et automatiquement mes habitudes européennes ont commencé à s’envoler. Après avoir pris un verre, deux verres, trois verres, une brochette, deux brochettes, c’est fini les idées d’un Burundi qui brûle, c’est fini les idées d’un Burundi au bord du génocide, j’ai eu comme impression que ce sont surtout les Amstels et les primus qui subissent véritablement le génocide.
Les jours suivants, j’ai vadrouillé dans tous les quartiers de Bujumbura, des belles maisons ou villa, des routes tracées et pavées. Beaucoup de choses ont changé, mais Buyenzi n’a pas changé, toujours et toujours les garages et le même bruit de moteurs et de carrosseries, la même ambiance. J’ai rencontré des amis, des anciens collègues, j’ai discuté avec des partisans du pouvoir et de l’opposition, leur unique ennemi commun est la soif. Je suis allé à l’intérieur du pays Kayanza, Ngozi, Muyinga, Gitega, Bururi et Makamba. La préoccupation de nombreux paysans n’est pas le changement du pouvoir de Pierre Nkurunziza, mais plutôt de comment s’adapter au changement climatique pour améliorer la récolte. J’ai vu de mes propres yeux que le Burundi de l’Europe en général et de Bruxelles en particulier est très opposé à celui que j’ai observé. Je ne dirais pas que tout est rose parce que la population a augmenté sensiblement, alors que vivant de l’agriculture, les terres deviennent de plus en plus rares et non fertiles et le climat n’est plus tendre, d’où un maque d’autosuffisance alimentaire. Beaucoup de jeunes diplômés qui ne trouvent pas d’emplois ce qui crée un mécontentement car tous voient l’Etat comme seul employeur. La vie est très chère à Bujumbura et il y a plus de voitures que les habitants, l’embouteillage est un casse-tête. Quant à la sécurité, la situation est vraiment sous contrôle même si des assassinats ciblés ne sont pas à négliger. Mais en termes de peur et de panique, les habitants de Bujumbura ne les vivent pas plus que les habitants de Paris ou de Bruxelles.
Pendant mon séjour au Burundi, j’ai constaté que le peuple burundais hutu et tutsi est fatigué par les politiciens qui les chauffent et quand ça chauffe effectivement, ils prennent le large vers l’Europe, laissant dans le pétrin leurs disciples paysans. Mais comme la politique est ainsi faite, seuls les plus résistants aux démagogies politiques peuvent s’en sortir.
En gros, je n’ai pas changé d’avis sur le 3eme mandat de Pierre Nkurunziza, le mandat que je qualifie de trop, mais j’ai changé ma perception sur le Burundi. Le Burundi n’est pas en guerre, le Burundi n’est pas au bord du gouffre, il y a pas de génocide en cours, le pouvoir de Bujumbura n’est pas du tout au pied du mur. Le reste ce n’est que spéculation de la politique purement politicienne.
Jean François CIZA