L’ambassadeur du Burundi à New York dresse le bilan de ses réalisations en 2016, rappelle aux lecteurs d’Ikiriho que “le Burundi n’est pas isolé comme certains veulent le faire croire: 180 sur 193 pays membres de l’Onu ont compris notre situation”. Interview exclusive.

L’Ambassadeur Albert Shingiro avec Edmond Mulet, le Chef d’équipe de Ban Ki-moon
Que diriez-vous si l’on vous demandait de résumer, en trois paragraphes, le travail de la mission diplomatique du Burundi à New York en 2016 ?

Sans être exhaustif, nos plus grandes réalisations sont d’abord le lobby intense pour expliquer à nos partenaires la situation politique et sécuritaire réelle qui prévaut au Burundi. Sauf une très petite minorité de partenaires qui auraient des agendas cachés, plus de 180 pays membres de l’Onu ont compris notre situation et traitent notre pays sur mérite.
Comme grande réalisation vient en deuxième lieu l’élection du Burundi au sein de plusieurs organes de l’ONU dont notamment le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, le Comité de l’ONU chargé des ONG, la commission de l’ONU sur la Population et le Développement, la commission des Nations Unies pour le Droit commercial international.

L’élection du Burundi au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a été d’ailleurs longuement critiquée par l’opposition burundaise…

Justement, parce qu’elle témoigne non seulement de l’existence des relations d’amitié et de coopération très nourries entre notre pays et le reste du monde, mais aussi augmente la visibilité au Burundi dans le concert des nations. L’on saura qu’en troisième lieu, la Mission du Burundi a négocié et obtenu des postes à l’ONU en faveur de nos compatriotes. Ainsi, c’est la première fois dans l’histoire de notre pays que des officiers supérieurs de la FDNB occupent des postes de responsabilité au sein du Département des opérations de maintien de la paix au siège de l’ONU, à New York. Actuellement, nous avons deux colonels qui y font un excellent travail.

Vous avez aussi été très actif pour que le Conseil de sécurité vienne au Burundi se rendre compte de la situation sur terrain…

En effet, la mission permanente du Burundi a négocié et obtenu la visite du Secrétaire Général de l’Onu au Burundi pour se rendre compte de la situation réelle du pays. Au terme de cette visite, il a produit un communiqué équilibré sur la situation au Burundi. Nous avons fait la même chose pour le Conseil de Sécurité de l’ONU. Sa visite a permis aux membres qui n’ont pas de représentations diplomatiques au Burundi d’être témoins oculaires des progrès remarquables déjà réalisés ainsi que des défis qui restent à relever.
Enfin, dernièrement, le 23 décembre 2016, la Mission a négocié et obtenu le rejet d’un projet de certains pays qui voulaient créer 20 postes additionnels non essentiels au sein du Bureau du Conseiller spécial du Secrétaire général sur la résolution des conflits à Bujumbura. Je remercie en passant les nombreuses délégations qui ont soutenu la position légitime du Burundi lors des négociations houleuses qui ont entouré ce projet jusqu’à quelques heures avant la fête de Noël.

L’une des expressions qui revient le plus souvent pour expliquer la situation au Burundi est que “le pays est isolé”. Est-ce votre impression, vous qui êtes en constantes interactions avec les nations du monde ?

Le Burundi n’est pas du tout isolé. Cet isolement se trouve dans la tête de ceux qui étaient derrière le changement de régime au Burundi par des moyens anticonstitutionnels. Si le Burundi était isolé comme certains le pensent, il n’aurait pas tenu aux pressions disproportionnées et sanctions injustes depuis avril 2015. Nous avons beaucoup de pays amis, plus discrets que d’autres, qui ont soutenu la souveraineté du Burundi par des moyens matériels et politico-diplomatiques divers. Je saisis cette bonne occasion pour les remercier. Ils se reconnaîtront! Tenez, l’ONU compte 193 pays membres. Avoir quelques difficultés relationnelles avec un pays voisin et un pays européen ne signifie pas que le pays est isolé. Même avec ces pays, les fenêtres restent ouvertes pour normaliser nos relations dans l’intérêt de nos peuples respectifs. Ces pays devraient changer leur attitude dans le traitement de la situation au Burundi, sinon le principe de la réciprocité leur sera appliqué.

La Résolution 2303 a été votée avec beaucoup de tapage médiatique, puis plus rien. Où en est-on avec le déploiement de la mission onusienne de police au Burundi ?

Contrairement aux résolutions consensuelles 2248 et 2279, la résolution 2303 a été adoptée sur forcing, sans le consentement préalable du pays hôte comme le stipulent la Charte de l’ONU et les pratiques déjà établies au sein du Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU. En plus de cet aspect légal, il faut aussi noter que l’idée de la présence policière au Burundi est née au moment où le pays traversait une situation sécuritaire particulièrement difficile lors des attaques terroristes contre les camps militaires à Bujumbura. Depuis là, la situation politico sécuritaire au Burundi s’est sensiblement améliorée. Ce qui nous amène à conclure que la présence policière telle que définie par la résolution 2303 n’est plus opportune. Toutefois, le Burundi reste très ouvert pour améliorer davantage les bonnes relations de coopération qui existent entre l’ONU et le Burundi dans un esprit de respect mutuel et dans l’intérêt du peuple burundais.

A New York, que pensent les diplomaties africaines de la crise burundaise ? Est-ce qu’ils font la même lecture de mainmise étrangère comme l’a souligné le président tchadien Idriss Déby ?

A part un seul pays voisin qui se reconnaîtra, tous les autres 53 pays africains soutiennent l’idée que le problème burundais sera résolu par les Burundais eux-mêmes sans interférences extérieures. Ils découragent aussi le recours à la violence comme moyens d’atteindre des objectifs politiques. Bref, pour mes collègues africains, le travail de la communauté internationale se limiterait à l’accompagnement.

Vous sentez-vous soulagé du départ de Samantha Power comme représentante des États-Unis aux Nations Unies ?

Ma collègue des États-Unis Ambassadrice Samantha Power sera à la fin de son mandat le 20 janvier 2017. Le métier de diplomate est ainsi fait! Nous sommes des nomades appelés à changer de lieux d’affectation à tout moment. Même si son attitude envers mon pays n’était pas équilibrée par moment, je lui souhaite du bien dans ses prochaines fonctions. En ce qui me concerne, je compte travailler étroitement avec son successeur l’Ambassadeur Nikki Haley pour améliorer davantage les bonnes relations d’amitié et de coopération qui existent si heureusement entre nos deux beaux pays depuis plus de 50 ans. Comme l’Ambassadeur Nikki n’a aucun intérêt personnel au Burundi, je suis certain qu’elle traitera la question burundaise sur mérite. C’est du moins ce que j’attends d’elle.

Quels changements peuvent survenir en termes de relations internationales, mais aussi pour le Burundi, avec l’arrivée d’un président Trump plus enclin à composer avec la Russie qu’Obama ?

Il serait prudent d’attendre son entrée en fonction le 20 janvier prochain avant de projeter quoi que ce soit. Une chose est certaine, chaque administration est unique et a sa propre touche en matière des relations diplomatiques. Le Burundi est prêt pour ouvrir une nouvelle page de nos relations avec l’administration Trump dans l’intérêt de nos deux peuples respectifs.

Pourquoi les diplomaties américaine, britannique et française recourent souvent à l’argument d’un risque de crimes de masse ou de génocide pour expliquer leurs positions sur la crise burundaise ?

Ceux qui avancent cet argument, qu’ils soient Américains, Français, Britanniques ou Burundais se trompent énormément car le « power sharing » (le partage du pouvoir) issu de l’Accord d’Arusha a enterré définitivement les risques de génocide ou d’atrocités de masse au Burundi. Le problème burundais est fondamentalement politique et sa solution est politique. Ceux qui ont choisi le « génocide imaginaire » comme slogan politique se trompent d’époques. Ce slogan n’est plus vendable dans notre région. Je les invite à se livrer plutôt à la bataille des idées constructives pour un meilleur avenir de notre beau pays le Burundi.

Le président Nkurunziza a dénoncé “l’activisme diplomatique” du Conseil de Sécurité sur le Burundi depuis 2005, alors qu’il a été longtemps muet sur les drames dans le pays depuis l’indépendance. Comment vos contacts onusiens expliquent cet intérêt soudain depuis l’arrivée au pouvoir du Cndd-Fdd ?

Vous savez, l’ONU a toujours été de bonne foi. Mais il arrive que certains pays dits “puissants” ou certains fonctionnaires l’induisent en erreur et l’incitent à agir contrairement à ses valeurs et principes. Je n’en dirai pas plus!

Quelles ont été les réactions à New York sur les propos du Facilitateur Mkapa quant à la sortie de la crise burundaise ? Y’a-t-il eu des pays qui l’ont désavoué ?

Le Facilitateur Benjamin Mkapa a le soutien total de tous nos partenaires ici à New York. Ce soutien unanime a été exprimé dans toutes les résolutions du Conseil de Sécurité et dans toutes les déclarations publiques lors des réunions sur le Burundi. Et il bénéficie du même soutien après sa visite très réussie au Burundi au début du mois décembre 2016.

L’opposition ne comprend pas comment Mkapa peut dire que Nkurunziza est légitime alors que la crise actuelle est justement née du fait que des Burundais ne reconnaissent pas la légitimité des institutions issues des scrutins de 2015. Comprenez-vous cette position ?

Soyez bien précis! Vous parlez peut être de l’opposition radicale basée à l’étranger. En déclarant que le président Nkurunziza est légitime, le Facilitateur Mkapa a abondé dans le même sens que la décision de la Cour de Justice de l’EAC, celle de la Cour Constitutionnelle du Burundi ainsi que la récente déclaration du Président Tchadien et président en exercice de l’Union Africaine, à Berlin. Il faut aussi dire qu’aucun partenaire ici aux Nations Unies n’a jamais remis en cause la candidature du Président Nkurunziza. Cette question n’a jamais été un enjeu du Conseil de Sécurité car elle relève exclusivement de la souveraineté du Burundi.

Nous vivons de plus en plus dans un monde multipolaire. Est-ce que vous n’avez pas peur que l’absence d’une force hégémonique dans le monde risque d’alimenter les conflits un peu partout dans le monde au lieu de les apaiser, puisque “tout le monde en fera à sa tête” ?

Effectivement le monde devient de plus en plus multipolaire avec la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Nous assistons aussi au retour de la guerre froide de type nouveau autour des enjeux géostratégiques contemporains. Contrairement à ce que vous dites, le retour au monde bipolaire ou multipolaire est bénéfique pour les pays en développement. Désormais aucune puissance n’aura le dernier mot sur tout, partout et en tout temps. Toute décision d’une importance capitale sur un enjeu global devra faire objet de négociations multilatérales ou entre deux blocs d’influence. Il faut souligner aussi que le monde multipolaire donne l’occasion aux “petits” pays de choisir entre plusieurs partenaires. Bref, la carte diplomatique de l’après 2ème Guerre mondiale est en train de changer et personne ne peut arrêter cette réalité. Les puissances d’hier n’auront d’autres choix que de s’ajuster en acceptant l’arrivée d’autres joueurs dans le club des grands.

by Philippe Ngendakumana