Mercredi 13 janvier, des informations ont fait état d’une rencontre d’experts techniciens de l’Union européenne et du ministère des Affaires étrangères. Cette rencontre avait pour objet la préparation d’une réunion entre le ministre Shingiro et les représentants de l’UE prévue pour le mois de février. Contacté, le ministre Albert Shingiro confirme la tenue de cette rencontre. D’après lui, cet échange consistait en l’analyse des éléments qui seront abordés au cours de la réunion de février. Le ministre n’a pas donné d’amples détails mais a toutefois affirmé que la réunion prévue pour février sera l’occasion d’aborder la question de la levée des sanctions contre le Burundi.
Selon une source proche de ce dossier, les exigences du gouvernement burundais portent principalement sur deux points : l’arrêt de l’application de l’article 96 de l’Accord de Cotonou et la levée des sanctions à l’encontre de certaines personnalités dont le ministre de l’Intérieur, Gervais Ndirakobuca.
Du côté de l’Union européenne, les préoccupations majeures tournent autour de la liberté d’expression, le respect des libertés publiques, la lutte contre l’impunité, la bonne gouvernance, l’appui au secteur privé (climat des affaires), etc.
Selon la même source, par souci de pragmatisme, l’Union européenne se garderait dorénavant de trop insister sur la question du respect des droits de l’Homme dans ses entrevues avec les officiels burundais « pour ne pas saboter les efforts de reprise de la coopération directe ».
Toujours d’après cette source, le retrait du Burundi de l’agenda du Conseil de Sécurité et la levée des sanctions de la part de l’OIF ont accéléré les choses. Elle souligne également que la libération des quatre journalistes d’Iwacu entre dans le cadre de concessions faites par le gouvernement Ndayishimiye vis-à-vis de ses partenaires européens.
« L’UE ne fera pas cavalier seul »
Selon Thierry Vircoulon, spécialiste des questions de sécurité et de gouvernance en Afrique centrale au sein de l’Institut français des Relations internationales(IFRI), l’UE applique généralement les sanctions de l’ONU et suit la position de l’ONU sur un régime. Et de rappeler que le fait que le Burundi ne soit plus à l’agenda du Conseil de sécurité de l’ONU signifie que ce régime ne constitue plus un risque pour la paix aux niveaux régional et international. « La normalisation des relations du régime burundais avec les organisations multilatérales est en cours (ONU, OIF, etc.) et l’UE ne fera pas cavalier seul en maintenant la suspension de la coopération », avance-t-il.
Pour M. Vircoulon, l’UE va suivre la voie des autres organisations multilatérales et va progressivement normaliser ses relations avec Gitega.
Des signaux positifs
Depuis l’accession d’Evariste Ndayishimiye au pouvoir, les contacts se sont multipliés. Le 7 décembre, le président Ndayishimiye a reçu en audience l’ambassadeur de l’Union Européenne au Burundi, Claude Bochu, en compagnie des ambassadeurs de l’Allemagne, la Belgique et la France.
Manifestement ravi de cette rencontre, M. Bochu a parlé « d’un climat amical » qui a imprégné les échanges. Il a précisé avoir discuté avec le chef de l’Etat des domaines prioritaires pour celui-ci : Santé, éducation, lutte contre l’impunité, développement agricole, sécurité alimentaire, mais aussi création d’emplois. Claude Bochu a précisé que l’UE est disposée à soutenir le Burundi dans ces domaines.
Le 11 décembre, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Albert Shingiro, a invité à déjeuner l’ambassadeur de l’Union européenne et tous les ambassadeurs des pays membres de l’UE présents au Burundi. C’est au cours de ce déjeuner qu’a été mis en place les équipes d’experts de l’UE et du ministère des Affaires étrangères devant préparer une réunion entre le ministre Shingiro et l’Union européenne et ses Etats membres.
A l’occasion de son message de vœux pour le Nouvel an, l’Union des vingt-sept s’est félicitée « de la réciprocité dans le réchauffement des relations avec le Burundi ». Et de souligner que l’UE et ses Etats membres ont fait à plusieurs reprises des gestes d’ouverture. Ce qui a abouti à la reprise de la coopération financière de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Elle s’est réjouie en outre, de voir que le Burundi n’est plus considéré comme un facteur de risque sur le continent, le Conseil de sécurité l’ayant retiré de son agenda, le 4 décembre.
Ainsi, l’UE et ses Etats membres saluent les priorités du président de la République Evariste Ndayishimiye. Et de promettre « une normalisation graduelle et complète des relations avec le Burundi ».
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Le professeur d’université et spécialiste en relations internationales affirme que l’Union européenne a intérêt à garder le Burundi dans son giron.
Réputé intransigeant, le gouvernement burundais se résoudra-t-il à accéder complètement aux demandes de l’Union européenne ?
Il serait prématuré de prédire ce qui ressortira de ces contacts. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des signes comme le retrait du Burundi de l’agenda du Conseil de Sécurité qui compte entre autres membres permanents, des pays membres de l’UE. On peut aussi citer la levée des sanctions de la part de l’OIF. C’est un signe que les pays européens qui ont des audiences dans ces différentes organisations sont sensibles aux revendications du gouvernement burundais. Quant au gouvernement burundais, je pense qu’il doit y avoir des concessions des deux côtés, les efforts doivent provenir des deux parties pour avoir un modus vivendi. On ne peut pas dire à l’avance ce qui sera acquis car il y a beaucoup de paramètres qu’on ne contrôle pas, il y a des péripéties dans les pourparlers entre les parties en présence. Cependant, ce qui a été déclenché est assez important et il serait étonnant qu’on n’arrive pas à un résultat acceptable pour les deux parties.
En minimisant la question des droits de l’Homme vis-à-vis de ses partenaires burundais, l’UE ne risque-t-elle pas de se décrédibiliser ?
Je ne crois pas que l’UE puisse assurer le fait qu’elle ne soit plus exigeante en termes de droits de l’Homme. Parce que ce serait nier sa philosophie en matière de coopération internationale. Mais ce qui s’est fait, c’est plutôt une rencontre avec l’autre partie en attendant qu’il y ait des améliorations. Cela veut dire qu’on peut reconnaître qu’il y a des efforts qui se font et qu’il reste un chemin à parcourir. Mais dans l’entretemps, la coopération est possible. C’est comme par exemple le cas de la Chine. Nous savons par exemple que l’UE dénonce régulièrement les violations des droits de l’Homme par l’Empire du Milieu au Tibet, celles commises contre les musulmans Ouïghours, etc. Mais ce n’est pas cela qui empêchera à l’UE de coopérer avec la Chine. C’est à dire qu’en matière de négociations, chaque partie est appelée à faire des concessions, en attendant qu’il y ait amélioration de la situation. Ce n’est pas renoncer à la lutte pour les droits de l’Homme, c’est plutôt donner une opportunité à l’autre partie pour qu’elle puisse progresser dans le combat pour les droits de l’Homme.
La stratégie de pragmatisme utilisée par l’UE est-elle pertinente en vue de rétablir la coopération directe ?
En matière de négociations, il est permis de mieux reculer pour mieux sauter. Ce sont des stratégies utilisées dans plusieurs domaines, surtout dans le domaine politique. On ne peut pas exiger le maximum des conditionnalités, il faut y aller progressivement. En matière de coopération internationale, il y a toujours des compromis. Mais cela ne veut pas dire qu’il y a renoncement aux principes, on donne au contraire une chance à une amélioration des choses. Mais en attendant, on coopère.
L’UE a-t-elle beaucoup à gagner de la reprise de la coopération directe ?
Bien sûr. Tout d’abord, sur le plan symbolique. L’UE, qui est un grand acteur sur la scène internationale, a besoin d’avoir le plus de partenaires possibles. Et elle ne voudrait pas lâcher le Burundi comme l’un ou l’autre pays membre de l’Union africaine ou de toute autre organisation continentale.
Deuxièmement, il y a d’autres intérêts derrière. L’UE compte plus de vingt pays dont un certain nombre qui ont des partenariats de coopération avec le Burundi sur le plan économique, social, culturel, etc. Dans la coopération internationale, il n’y a pas d’acteur négligeable. Tous les acteurs sont importants. C’est d’autant plus intéressant que ce qui compte le plus aujourd’hui, c’est l’agenda social. Le monde est actuellement dominé par des questions d’ordre social : santé, chômage, immigration, écologie, etc. Nous sommes dans un monde où nous avons beaucoup de problèmes en commun. Si on laisse certains pays, petits soient-ils, derrière, tout le monde sera finalement rattrapé. Nous sommes donc dans un même bateau. L’UE ne peut pas dormir sur ses deux oreilles en croyant que la situation qui règne en Afrique ne la concerne pas. Les problèmes africains finissent par rattraper l’UE. Ce qui fait que l’UE a intérêt à maximiser le nombre de ses partenaires ici en Afrique ou ailleurs. Elle n’a pas intérêt à laisser certains pays en dehors de la coopération avec elle-même.
Par Alphonse Yikeze (Iwacu)