En observant les conflits et l’instabilité qui perdurent dans plusieurs régions d’Afrique, notamment en République démocratique du Congo (RDC), une conclusion s’impose : le continent a urgemment besoin d’une unité plus solide et d’un leadership central fort. L’idée d’un « maître de l’Afrique », en d’autres termes un dirigeant africain investi d’une autorité supranationale pour guider le continent, gagne en pertinence face aux défis actuels. Cette vision s’inscrit dans la lignée du panafricanisme historique : faire de l’Afrique un continent puissant sur les plans militaire, politique et économique, capable de défendre ses intérêts et ses valeurs. Les récents événements en RDC illustrent cruellement le manque d’unité : la rébellion du M23, soutenue par l’armée rwandaise, menace l’est du pays et déstabilise la région, au point que le Burundi voisin a dénoncé « l’attitude belliqueuse » de Kigali. Un pouvoir continental capable d’empêcher qu’un pays africain attaque un autre aurait sans doute pu éviter de telles dérives. De même, l’Union africaine actuelle, trop dépendante d’aides extérieures, n’a pas su résoudre seule des crises majeures : il a fallu l’intervention de la France pour sauver le Mali des jihadistes en 2013, illustrant la faiblesse d’une organisation dont 70 % du budget provient de bailleurs étrangers. Ces constats renforcent l’argument qu’une Afrique unifiée sous un leadership fort, à l’image d’un “Président de l’Afrique” doté de réels pouvoirs, pourrait mieux assurer la paix, la sécurité et le développement du continent.
Le rêve panafricain d’une Afrique politiquement unie
L’aspiration à une Afrique unie n’est pas nouvelle. Dès les indépendances, des leaders visionnaires comme Kwame Nkrumah au Ghana plaidèrent pour la création des « États-Unis d’Afrique », c’est-à-dire une fédération panafricaine calquée sur le modèle des États-Unis d’Amérique. Nkrumah avertissait en 1963 : « Notre objectif, c’est l’unité africaine. Il n’y a pas de temps à perdre. Nous devons maintenant nous unir ou périr ». Il proposait de forger une union politique continentale disposant d’une défense commune, d’une citoyenneté africaine, d’une monnaie unique et d’une Banque centrale africaine. Cette vision reposait sur l’idée qu’une Afrique unie parlerait d’une seule voix sur la scène mondiale, retrouverait sa dignité et cesserait d’être reléguée au second plan dans les négociations internationales. Un gouvernement continental fort pourrait ainsi imposer la discipline aux États membres, garantir le respect des droits des peuples et défendre les intérêts africains sans ingérence étrangère. L’exemple des États-Unis d’Amérique, fédération de 50 États sous une autorité centrale, montre qu’une union politique peut conférer force et stabilité : de même, une Afrique fédérée sous un leadership unique aurait le poids démographique (1,5 milliard d’habitants) et stratégique pour s’affirmer comme puissance mondiale. C’est ce qu’avaient compris les pères du panafricanisme, qui voyaient dans l’unité la condition de la survie et de la prospérité du continent africain.
Le siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, symbole contemporain de la volonté d’unité du continent africain.
Toutefois, ce rêve panafricain s’est heurté à la réalité post-coloniale : la plupart des dirigeants ont rechigné à céder ne serait-ce qu’une parcelle de leur souveraineté nationale au profit d’une autorité supranationale. L’Organisation de l’unité africaine (OUA), fondée en 1963, puis l’actuelle Union africaine (UA) ont opté pour des coopérations intergouvernementales limitées, loin d’un véritable État fédéral africain. Les résistances étaient vives, alimentées par la crainte des élites de perdre le pouvoir et par les pressions de certaines puissances extérieures soucieuses de préserver le statu quo. Malgré cela, l’idéal ne s’est pas éteint. Des leaders comme Muammar Kadhafi ravivèrent l’idée au début des années 2000 : en tant que président de l’UA en 2009, Kadhafi proposa ouvertement la création d’un gouvernement africain unique, d’une monnaie africaine et d’une armée continentale. Il rêvait d’une Afrique dotée d’un passeport unique et d’une monnaie adossée à l’or (un « dinar or ») afin de libérer le continent de la tutelle monétaire du dollar et de protéger ses ressources naturelles des prédations étrangères. Si les méthodes et l’autoritarisme de Kadhafi étaient controversés, sa vision panafricaine était partagée par de nombreux intellectuels africains, qui estiment qu’il fut combattu en partie parce qu’il voulait une Afrique « capable de se développer sans interférence occidentale ». L’histoire du panafricanisme montre ainsi que l’unité sous un leadership fort a toujours été perçue comme la voie pour émanciper l’Afrique et « parler d’égal à égal » avec le reste du monde.
Vers une puissance politico-militaire commune
Sur le plan politique et sécuritaire, l’idée d’un chef d’État continental s’accompagne de la création d’une armée africaine unifiée. Un tel outil de défense commun servirait plusieurs objectifs cruciaux. D’abord, il garantirait la stabilité interne des pays africains en dissuadant ou en neutralisant les régimes qui oppriment leurs populations ou s’accrochent illégalement au pouvoir. On peut imaginer, par exemple, qu’une force africaine unie puisse intervenir pour imposer l’ordre démocratique en cas de coup d’État ou de confiscation de pouvoir par un dirigeant autoritaire, comme la CEDEAO l’a fait en 2017 en Gambie en déployant des troupes pour contraindre Yahya Jammeh à accepter sa défaite électorale. Cela enverrait un signal fort : les violations graves de la démocratie et des droits de l’homme ne seraient plus tolérées sur le continent. Ensuite, une armée continentale préviendrait les conflits entre États africains. Actuellement, l’absence d’une autorité coercitive au-dessus des États permet des agressions telles que celles observées dans les Grands Lacs : malgré les condamnations, le Rwanda de Paul Kagame est accusé de soutenir militairement la rébellion du M23 et d’occuper de facto une partie de l’est du Congo pour servir ses visées stratégiques. Une structure de défense commune sous commandement africain suprême rendrait ce genre d’agression inacceptable et impraticable, car tout État belligérant s’exposerait à la réaction coordonnée de l’ensemble du continent. Déjà en 1963, Nkrumah plaidait pour « un système de défense commune, dirigé par un commandement suprême africain, pour assurer la stabilité et la sécurité de l’Afrique ». Une telle force pourrait aussi intervenir rapidement pour éteindre les conflits internes avant qu’ils ne dégénèrent ou pour empêcher des ingérences extérieures. Enfin, sur la scène internationale, une Afrique forte militairement gagnerait en respect et en capacité de négociation. Aujourd’hui, l’Afrique dépend souvent des forces de l’ONU ou des armées étrangères pour gérer ses crises (les interventions françaises, onusiennes ou autres en Côte d’Ivoire, au Mali, en Centrafrique en témoignent). Demain, une armée africaine intégrée, bien formée et équipée, pourrait non seulement régler les problèmes africains par des « solutions africaines », mais aussi peser face aux autres grandes puissances, à l’image de l’OTAN ou des forces chinoises et américaines. En somme, l’unification politico-militaire donnerait au continent les moyens d’assurer sa propre sécurité et de faire respecter ses décisions sans tutelle extérieure.
Une intégration économique pour la prospérité du continent
Parallèlement à l’unité politique et militaire, l’Afrique unie aurait tout à gagner d’une union économique et monétaire. Aujourd’hui fragmentée en plus de 50 marchés nationaux et une myriade de monnaies, l’Afrique ne parvient pas à exploiter tout son potentiel. Une intégration économique poussée, union douanière, marché commun et monnaie unique, créerait une dynamique interne porteuse de développement. D’ailleurs, le processus est déjà amorcé : l’accord de libre-échange continental (ZLECAf, ou AfCFTA en anglais) est entré en vigueur en 2021, formant la plus grande zone de libre-échange au monde en nombre de pays participants. La ZLECAf ouvre un marché commun de 1,5 milliard de personnes pour un PIB combiné d’environ 3 000 milliards de dollars, ce qui en fait le 8ᵉ bloc économique mondial en termes de richesse. Les barrières tarifaires et réglementaires commencent à tomber, annonçant une circulation plus libre des biens, des services, des capitaux et des travailleurs à travers le continent. Les avantages attendus d’une union économique totale seraient nombreux :
- Stimuler le commerce intra-africain : Lever les barrières commerciales doit augmenter nettement les échanges entre pays africains (qui ne représentent aujourd’hui qu’environ 15 % du commerce total du continent, contre près de 70 % en Europe). Un vaste marché unifié encouragera la spécialisation, la compétitivité et l’industrialisation locales, au lieu d’exporter uniquement des matières premières.
- Renforcer le poids économique de l’Afrique : Négocier à 54 pays séparés face aux géants économiques (États-Unis, Union européenne, Chine) place souvent chaque pays africain en position de faiblesse. À l’inverse, une Afrique unifiée économiquement disposerait d’un pouvoir de négociation bien plus important pour les accords commerciaux, l’accès aux technologies ou la défense de ses producteurs.
- Une monnaie unique africaine : L’adoption d’une monnaie commune, gérée par une Banque centrale africaine, éliminerait les coûts de change et les spéculations sur les monnaies nationales faibles. Elle faciliterait les investissements et échanges intra-africains. Surtout, une monnaie africaine forte réduirait la dépendance vis-à-vis des devises étrangères (dollar, euro) et des anciennes monnaies coloniales comme le franc CFA. Déjà en 1991, le Traité d’Abuja avait fixé l’objectif ambitieux d’une monnaie unique africaine à long terme, et des projets sous-régionaux, comme l’« Eco » en Afrique de l’Ouest, vont dans ce sens. Certes, instaurer une monnaie unique nécessite de converger économiquement et budgétairement, mais l’exemple de l’euro en Europe montre que c’est faisable par étapes.
- Attractivité et investissements accrus : Un grand marché intégré, stable politiquement, attirerait davantage d’investissements directs étrangers (IDE) et favoriserait l’émergence de champions économiques africains. Au lieu d’avoir 54 petits marchés souvent peu rentables isolément, les entreprises pourraient opérer à l’échelle continentale, bénéficier d’économies d’échelle et innover pour le marché africain unifié.
En somme, l’union économique et monétaire serait le complément indispensable d’une union politique : elle créerait la prospérité partagée qui consoliderait l’unité africaine. Comme le disait Kadhafi, seul un continent économiquement unifié et autosuffisant pourra s’affranchir du cycle de la pauvreté et de la dépendance en valorisant pleinement ses immenses richesses naturelles, tout en parlant d’une voix forte dans l’économie mondiale.
Obstacles à surmonter et conditions de réussite
Il serait naïf de croire qu’une Afrique unifiée sous un leadership unique se construirait sans embûches. De nombreux obstacles se dressent sur ce chemin, qu’il convient d’identifier pour mieux les surmonter :
- Attachement à la souveraineté nationale : Chaque pays africain tient à son indépendance chèrement acquise. Les gouvernements en place sont souvent réticents à transférer des pouvoirs régaliens (défense, monnaie, diplomatie) à une entité supranationale. Cette mentalité, héritée de la période post-coloniale, a été l’un des freins majeurs à l’unité politique depuis les années 1960. Pour avancer, il faudra un nouvel élan de volonté politique de la part des chefs d’État, acceptant de mettre en commun une partie de leur autorité pour le bien commun continental.
- Diversité culturelle et linguistique : L’Afrique est extrêmement diverse par ses peuples, langues et traditions. Construire une fédération panafricaine viable exigera de forger une identité africaine partagée sans nier les identités nationales. Cela nécessitera un leadership éclairé, capable de s’appuyer sur les valeurs africaines ancestrales, par exemple l’importance du consensus, de la solidarité communautaire (philosophie d’« Ubuntu ») et du respect des anciens, pour bâtir des institutions inclusives où chaque nation se sente respectée.
- Écart de développement et de gouvernance : Les pays africains ont des niveaux de développement inégaux et des systèmes politiques variés (démocraties, régimes autoritaires, monarchies…). Une union effective devra établir des normes communes de gouvernance (démocratie, état de droit, lutte contre la corruption) pour éviter que l’union ne soit minée de l’intérieur par de mauvais élèves. Cela suppose un mécanisme de sanction mais aussi d’entraide pour élever le niveau global (par exemple, un gouvernement continental pourrait allouer des ressources pour aider les États en difficulté économique ou en transition politique).
- Réticences extérieures : Une Afrique forte et unie bousculerait les rapports de force mondiaux et pourrait contrarier les intérêts de certaines puissances établies. Historiquement, chaque tentative d’émancipation économique (comme la création d’une monnaie panafricaine proposée par Kadhafi) ou politique a suscité l’hostilité plus ou moins ouverte de nations étrangères profitant du morcellement africain. Il faudra donc que l’Afrique fasse preuve de détermination et d’autonomie face aux influences extérieures, en misant sur ses partenariats internes. Le soutien populaire panafricain sera également crucial pour légitimer ce projet aux yeux du monde.
Malgré ces défis, des signaux d’espoir existent. Une nouvelle génération de jeunes Africains, ultra-connectés, se sent de plus en plus panafricaine et réclame des solutions à l’échelle du continent. Des dirigeants commencent à tenir un discours d’unité africaine plus affirmé sur la scène internationale. Les succès ponctuels de coopérations régionales, qu’il s’agisse de la force multinationale africaine contre Boko Haram en Afrique de l’Ouest, ou de la médiation conjointe de l’UA dans certains conflits, montrent que l’action collective africaine peut fonctionner. Surtout, l’échec des modèles actuels (balkanisation héritée de la colonisation, dépendance économique, conflits interminables) pousse à réinventer l’avenir. L’unité sous un leadership fort n’est plus une utopie lointaine : c’est une nécessité historique si l’Afrique veut briser le cycle de la faiblesse géopolitique et de la pauvreté.
Unir ou périr
En définitive, l’idée d’un « maître de l’Afrique », entendons par là un leadership continental fort et légitime, s’impose de plus en plus comme une solution audacieuse aux maux du continent. Il ne s’agit pas de ressusciter un empire autoritaire, mais de créer une gouvernance unifiée africaine capable d’incarner la volonté collective de plus d’un milliard d’Africains. Sous la direction d’un tel leadership, épaulé par des institutions communes robustes (parlement africain, cour de justice africaine, banque centrale, armée unifiée), l’Afrique pourrait enfin parler d’une seule voix et défendre ses intérêts vitaux : plus de guerres fratricides attisées par des pouvoirs expansionnistes ou par procuration, plus de matières premières vendues à vil prix faute de poids dans les négociations, plus de diktats monétaires externes freinant le développement. Une Afrique unie serait en mesure d’imposer la paix et la démocratie chez elle, et de gagner le respect partout ailleurs. Comme l’affirmait Nkrumah il y a plus de soixante ans, « sans sacrifier nos souverainetés nationales, nous pouvons forger dès maintenant une Union continentale », c’est un mandat sacré confié par les peuples africains, et tout retard à réaliser l’unité serait une trahison de leurs espoirs. L’avertissement lancé alors reste d’actualité : l’Afrique doit « s’unir maintenant ou périr ». Plus que jamais, l’heure est venue de transformer ce vieux rêve panafricain en réalité tangible : celle d’une Afrique forte, unie et maîtresse de son destin.
Par Bazikwankana Edmond






