L’invité de RFI Pierre-André Wiltzer
Qui sera secrétaire générale de la Francophonie à l’issue du sommet d’Erevan de la semaine prochaine ? Deux femmes s’affrontent : la Canadienne Michaëlle Jean, qui est la secrétaire générale sortante, et la Rwandaise Louise Mushikiwabo, qui est soutenue notamment par la France et l’Union africaine (UA). Le mois dernier, quatre anciens ministres français de la Coopération ont publié une tribune de presse contre la candidature Mushikiwabo. Pierre-André Wiltzer est l’un des signataires et il s’en explique au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi soutenez-vous la candidature de Michaëlle Jean pour un deuxième mandat ?
Pierre-André Wiltzer : D’abord, je ne soutiens aucune candidature (rires). Simplement, avec un certain nombre de mes anciens collègues, nous avons été assez choqués de la façon dont a été annoncé par le président de la République française le soutien qu’il apportait à la candidature du ministre du gouvernement du Rwanda. Cela nous a paru une curieuse annonce parce que cela semble être une décision unilatérale qui a été prise par le président français, alors que l’Organisation internationale de la Francophonie réunit plus de 80 pays. Et donc c’est assez surprenant qu’un pays, même si c’est la France qui est le pays qui apporte le plus de contributions matériellement, un seul pays prenne l’initiative de choisir tout seul un autre candidat.
« Au risque d’un bras de fer avec le Canada », écrivez-vous ?
Oui, en effet. Parce que le Premier ministre du Canada [Justin Trudeau], et d’ailleurs celui du Québec [à l’époque Philippe Couillard] aussi, sont venus à Paris récemment et ils ont à chaque fois indiqué qu’ils appuyaient la candidature de madame Michaëlle Jean à un deuxième mandat.
Et si Michaëlle Jean ne repasse pas, vous craignez que le Canada ne laisse tomber ?
J’espère que non. Mais c’est sûr que pour nos partenaires canadien et québécois la pilule est assez amère.
Michaëlle Jean, est-elle une bonne ou une mauvaise secrétaire générale de l’OIF ?
Moi, je ne suis pas là pour juger. C’est une personne très respectable que je connais, qui a énormément de bonne volonté et qui s’est beaucoup manifestée sur un certain nombre de terrains, par exemple tout ce qui est promotion de la démocratie et des droits de l’homme. Je dois dire d’ailleurs que nous sommes devant une organisation qui a beaucoup grossi, dont les moyens sont très faibles.
Il y a trop de pays membres ?
Il y a beaucoup de pays membres qui sont là, à vrai dire, on se demande pourquoi parce que la langue française n’est pas du tout pratiquée et le sort de la langue, de l’éducation, etc. n’est manifestement pas une de leurs préoccupations. Ils sont là parce que c’est un club sympathique, mais s’engager dans des politiques de promotion de l’enseignement, l’éducation, la préservation de la langue notamment en face du développement du numérique, etc., ce ne sont pas des sujets qui les passionnent. Donc la question se pose vraiment du fonctionnement et des priorités de l’OIF.
Face à Michaëlle Jean, il y a donc Louise Mushikiwabo. Pourquoi écrivez-vous que celle-ci n’a pas sa place à la tête de la Francophonie ?
Parce que le Rwanda n’est quand même pas, objectivement, un modèle en matière de Francophonie. C’était un pays francophone et le président Paul Kagame a décidé de donner la priorité à l’anglais au détriment du français. Par-dessus le marché, on peut quand même aussi observer qu’en matière de fonctionnement de la démocratie et des droits de l’homme, le Rwanda n’est pas véritablement un modèle. Il y a eu beaucoup de répressions, même si le président Kagame a récemment libéré un certain nombre de condamnés. Il y a quand même beaucoup de répression contre les opposants politiques. Par conséquent, là aussi, pour une organisation qui insiste beaucoup sur la préservation des droits de la personne, c’est une interrogation que ce soit une secrétaire générale qui vient du Rwanda qui prenne la direction de l’OIF.
Et craignez-vous que si Louise Mushikiwabo devient secrétaire générale, la Francophonie ne défende plus ses valeurs, c’est ça ?
Je ne peux pas lui faire de procès d’intention. Je ne la connais pas personnellement. Simplement, je dis que le message envoyé en choisissant une personnalité politique du gouvernement rwandais pose question à la fois en ce qui concerne l’attachement à la langue française et, d’autre part, le fonctionnement et les règles démocratiques.
La libération de quelque 2 000 prisonniers, dont l’opposante Victoire Ingabire, n’est-ce pas justement en vue de ce sommet de la Francophonie ? Et de ce point de vue, la Francophonie n’a-t-elle pas servi à quelque chose ?
Je ne peux pas vous le dire. C’est possible. Je ne sais pas si cela a été voulu ou pas. Tant mieux s’il y a eu des libérations. Il y en a sans doute encore d’autres qui seraient nécessaires. Mais cela n’empêche pas les réflexions que nous nous sommes faites.
Derrière le choix du Rwanda, vous dites que « la France espère se réconcilier avec le régime de Paul Kagame, mais qu’elle n’y arrivera pas, car le président rwandais a besoin d’une France coupable, et aussi longtemps qu’il sera au pouvoir, elle le restera à ses yeux ».
Il est vrai que depuis qu’il est arrivé au pouvoir, le président Kagame n’a pas cessé de dénoncer la France qu’il accuse d’avoir une responsabilité dans le génocide des Tutsis en 1994. Bien sûr, la France s’est toujours défendue vigoureusement d’avoir voulu participer d’une manière ou d’une autre à ce génocide. Mais il semble qu’on continue à Kigali, de la part du président Kagame et de son entourage, à soupçonner la France en permanence de ne pas avoir une attitude claire sur ce sujet. Donc on est quand même constamment visé.
Mais les rencontres Kagame-Macron, la visite de Paul Kagame à Paris en mai 2018, tout cela n’est-il pas le signe d’un rapprochement quand même ?
Oui, il y a effectivement un rapprochement et on ne peut pas s’en plaindre. Tant mieux si le président Kagame finalement adopte une position un peu plus compréhensible, un peu plus ouverte sur ce sujet. Mais n’empêche que le choix fait par le président Macron nous paraît quand même assez inopportun.
« La Francophonie n’est pas la propriété de la France », écrivez-vous. Mais franchement, est-ce que c’est bien nouveau le leadership de la France dans l’OIF ? Est-ce que du temps de Jacques Chirac, on ne tordait pas le bras non plus à quelques chefs d’Etat pour faire passer la candidature d’un Boutros Boustros-Ghali [diplomate égyptien, ancien secrétaire général des Nations unies], ou d’un Abdou Diouf [ancien président du Sénégal] ?
Je ne pense pas que les situations puissent être vraiment comparées. Par exemple, j’ai connu, pour avoir été à ce moment-là ministre de la Coopération et de la Francophonie, la succession du secrétaire général monsieur Boutros-Ghali. Et il y avait deux candidats africains pour la succession. Il y avait le candidat présenté par le Congo et les pays de l’Afrique centrale, Henri Lopez ; et d’un autre côté, le candidat présenté par les pays de l’Afrique de l’Ouest, le président Abdou Diouf. Entre ces deux blocs, il est vrai que le président Chirac a essayé de jouer les arbitres. Ça s’est passé au sommet de Beyrouth [en octobre 2002], mais je ne dirais pas que la France a tiré les ficelles de la Francophonie en permanence. Il fallait sortir de cette compétition. Donc effectivement, il a donné un avis. Mais cela n’est pas vrai de dire que la France téléguide l’Organisation internationale de la Francophonie. Je trouve qu’elle ne s’y implique pas suffisamment.
Jacques Chirac a quand même pesé à l’époque en faveur d’Abdou Diouf ?
Il a pesé en faveur d’Abdou Diouf. Il avait des raisons de le faire. Ce n’était pas facile d’ailleurs parce qu’il avait aussi une très grande estime pour Henri Lopez. J’ai une très grande admiration pour lui. Le reste du temps, c’est une organisation dont je trouve que la France ne s’est pas beaucoup occupée.
Par Christophe Boisbouvier
Pierre-Andre Wiltzer en 2004. AFP/Seyllou Diallo