Après tant de temps de séquestration morale et d’exil forcé, j’ai décidé de révéler au peuple burundais et à la communauté internationale la vérité sur le putsch du 21 octobre 1993.
Les raisons du témoignage.
La principale raison qui me pousse à établir le présent témoignage est que, les nouveaux patrons du pays qui veulent me prendre pour leur bouc-émissaire sont bien les auteurs du coup d’état du 21 octobre 1993.
La seconde raison est que, depuis un certain temps, la magistrature militaro-civile, sous la houlette de Buyoya, s’est attelée au jugement des présumés putschistes, tout en cherchant à faire sacrifice de quelques caporaux et quelques officiers subalternes qui n’étaient que des exécutants des ordres de Buyoya et sa clique.
1. Buyoya putschiste.
1.1. Première tentative.
Après avoir délibérément cédé le pouvoir à ceux qu’il considérait comme des extrémistes, Buyoya cherche à le récupérer par la voie des coups d’état. Ainsi, avant les élections législatives du 29 juin 1993, Buyoya tente un coup d’état. C’est le fameux coup d’état de Bizuru alors commandant du 1er escadron au onzième BN blindé.
1.2. Deuxième tentative.
Après la défaite catastrophique de lUPRONA aux législatives, Buyoya réunit son Etat-major militaire et civil (upronistes) et organise un second coup-d’état contre le président élu. Ainsi, dans la nuit du 3 juillet 1993, il ordonne à son directeur de cabinet feu lieutenant-colonel Ningaba Sylvestre, de réunir certains commandants d’unité de la garnison de Bujumbura. Répondront à cet appel les lieutenant-colonels Nzunogera Appolinaire, alors commandant du 1er BN Para, feu Girukwigomba Pancras, alors commandant du 11eme BN blinde, Ndayisaba Celestin, alors commandant de l’Institut Superieur des Cadres Militaires (ISCAM), Gunungu Gabriel, alors commandant du camp Ngagara, Nahigombeye Anicet, Alors commandant du camp Gakumbu, Nibizi Isaie, alors commandant du 2 ème BN commando.
Buyoya, entouré du colonel Mibarurwa, alors chef d’état major général des forces d’armées et du lieutenant-colonel Bikomagu, alors chef d’état-major général-adjoint chargé des opérations, donne l’heure exacte du début des opérations. Quelques instants avant, la nonciature apostolique et les ambassadeurs des USA et de France téléphonent tour à tour à Buyoya pour le mettre en garde sur les conséquences fâcheuses de cette aventure.
A son tour le Président Ndadaye téléphone à Buyoya pour lui demander ce qui se trame puisque quelques camions remplis de militaires faisaient déjà mouvement vers le palais. Buyoya lui répondra qu’il s’agissait des opérations de « baptême de feu »(cfr. Témoignage de feu président Ndadaye lui-même dans L’Aube de la Démocratie).
Buyoya prend panique et donne immédiatement un contre ordre aux lieutenants-colonels Nzunogera et Girukwigomba d’empêcher la sortie des militaires de leurs unités (1er BN para et onzième BN blindé), puisque c’étaient des unités clé. Ainsi ordonné, ainsi fait. Les deux commandants d’unité stoppent la sortie de leurs militaires alors que ceux du 2eme BN commando (alors sous le commandement du lieutenant-colonel Isaie Nibizi) étaient déjà en route pour encercler le palais. Ils n’attendaient que l’appui des blindés.
Malgré la mise en échec voulu, la lâcheté de Buyoya ira plus loin car, il n’hésitera pas à sacrifier quelques éléments qui n’étaient que des exécutants de simples missions ordonnées par son directeur de cabinet. Ainsi l’arrestation immédiate fut décrétée à l’encontre du major Rumbete, alors commandant en second du 2eme BN commando, du commandant Ntakiyica, alors conseiller à la présidence de la république, du capitaine Bucumi, alors officier d’état major au service G-1 et du Capitaine Nintunze, alors en stage SPO. Le lieutenant-colonel Ningaba, alors directeur de cabinet de Buyoya, le major Busokoza ami personnel de Buyoya ainsi que le 1er Sergent-major Simbananiye, alors chef charroi à la présidence ne seront arrêtés que le lendemain et cela sur pression du President Ndadaye. Buyoya tenait absolument à les protéger.
2. Buyoya assassin.
2.1. Troisième tentative et assassinat de Ndadaye.
Selon les informations qui nous parvenaient dans les unités, Buyoya aurait envoyé au lieutenant-colonel Ningaba par l’intermédiaire de son oncle Butoke, le message suivant : « ne vous découragez pas. Le programme Continue. Cette fois-ci on va réussir et vous occuperez les mêmes fonctions. »
D’après ce message, il est clair que Buyoya préparait un véritable coup d’état. Ainsi dans la nuit de 20 au 21 octobre 1993, un coup de force est exécuté. Il coûtera la vie au président Ndadaye et à certains de ses proches collaborateurs.
Etaient impliques dans le coup le bureau politique de l’UPRONA dont les teneurs étaient Kadege Alphonse, Ngenzebuhoro Frédéric, Manwangari Jean-Baptiste, Bararunyeretse Libere, Mukasi Charles, Matuturu Claudine, et Ngeze Francois et le haut commandement de l’armée représenté par les colonels Bikomagu Jean et Simbanduku Pascal, les lieutenants-colonels Bayaganakandi Epitace, Nkurunziza Alfred, Baribwegure Janvier, Daradangwe Jean Bosco, Nzosaba Delphin et Ndayisaba Celestin.
Le lieutenant-colonel Nkurunziza Alfred, beau-frère de Kadege Alphonse et actuel directeur de cabinet de Buyoya, assurait la liaison entre le bureau politique de l’UPRONA et le haut commandement de l’armée. De nombreux commandants d’unité ont participé activement dans l’organisation du coup-d’etat.
Toujours fidèle à sa lâcheté, Buyoya propose Ngeze, un civil et hutu non extrémiste, comme président de la république afin de faire accepter à la population burundaise et à l’opinion internationale le coup-d’état militaire. Evidemment, Ngeze n’était qu’un outil, car, Buyoya devait reprendre le pouvoir nous disaient nos supérieurs.
Présenté par le colonel Simbanduku, l’honorable Ngeze a accepté de prendre l’affaire en main devant les officiers ci-après réunis en salle du 1er BN para : les colonels Bikomagu Jean et Simbanduku Pascal, les lieutenants-colonels Nzosaba, Niyibizi, Bugegene, Ndayisaba, Ndacasaba, Niyoyunguruza, le major Rumbete et les lieutenants Ntarataze, Kamana et Ngomirakiza. Quelques temps plus tard, les lieutenants sont exclus du groupe pour céder place aux Lieutenants-colonels Daradangwe et Baribwegure.
Au même moment, sur ordre de Buyoya, Mukasi dirigeait le bureau politique de l’UPRONA à Kumugumya et faisait rédiger les communiqués qui ont été portés à la connaissance du peuple burundais (voir le communique lu par le commandant Sinarinzi Mamert dans la soirée du 21 octobre 1993 et le communiqué de Ngeze lu le lendemain).
Sur ordre du lieutenant-colonel Ndayisaba Célestin, beau-frère du Colonel Bikomagu, Ngomirakiza et moi avons été désignés chef de sécurité rapprochée du Président Ngeze. Et en date du 23 octobre vers minuit, on a escorté Ngeze chez Buyoya sur convocation de ce dernier.
A cette occasion, Buyoya lui a intimé l’ordre de remettre le pouvoir au FRODEBU et à sacrifier certains de ceux qui se sont fait voir sur le terrain parmi les jeunes officiers, les sous-officiers et les hommes de rang ainsi que ceux qui étaient déjà en prison pour la tentative de putsch du 03 juillet 1993. C’est sous ce plan de chercher des bouc-emissaires que le colonel Bikomagu a organisé la sortie des prisons des présumés putschistes du 03 juillet. En effet, très tôt dans la matinée du 21 octobre, les capitaines Bucumi et Nitunze sont libérés pour les faire participer à l’attaque du palais présidentiel, le major Rumbete va au camp Muzinda, Gakumbu et au 1er BN para. Le major Busokoza quant à lui a été libéré pour aller couper les liaisons téléphoniques. Plus tard au courant de la journée, Bikomagu a également ordonné à certains militaires d’aller libérer le lieutenant-colonel Ningaba qui était en prison a Rumonge et le commandant Ntakiyica qui était en prison a Muramvya. Le 1er sergent-major qui en prison à Bubanza se verra libéré le lendemain.
Tout en passant, je précise que, dans la soirée 21 octobre le commandant Ntakiyica s’est vu en présence d’un document lui présenté par le lieutenant-colonel Daradangwe pour la diffusion. C’était un piège qu’on lui tendait, heureusement pour lui, il l’a refuse. Je précise également que le même ordre a été donné à Ngeze dans la soirée du 23 octobre, a été donné à Bikomagu dans la matinée du 24. C’est directement après le message que Bikomagu nous a embarqués(Ningaba,Ngomirakiza et moi-même) vers le 1er BN para. Là il a dit qu’on allait remettre le pouvoir et que l’amnistie était déjà négociée pour les putschistes. Evidemment c’était un mensonge, il n’y a pas d’amnistie puisque l’ordre de sacrifier certains militaires était déjà donné. Alors quand j’ai appris que je figurais sur la liste de ceux qui devraient être sacrifies, j’ai décidé de prendre l’exil.
Conclusion.
1. Je plaide non coupable, car, jeune officier que j’étais, grade de lieutenant et chef de peloton, je ne pouvais pas être le concepteur et le planificateur d’une action d’une aussi grande envergure, beaucoup de gens savent que je me suis réveillé quant les canons chantaient déjà. J’étais avec tous mes cohabitants jusque 5 heures du matin alors que Bikomagu était à l’état-major depuis 23 heures.
2. Toute personne qui connaît l’organisation du commandant et de la hiérarchie Militaire sait qu’un coup-d’état militaire ne peut pas se faire sans l’aval et la participation de l’état-major général des commandants d’unité.
3. Par conséquent, je demande d’être rétabli dans mes droits civils, publiques,… (illisible )
4. J’en appelle à la conscience de Buyoya et ses hommes et à leur honnêteté intellectuelle de cesser cette politique lâche et égoïste qui veut que les vrais criminels soient en même temps les juges des innocents.
Fait à Kampala le 25 août 1997
Lieutenant Kamana Jean-Paul