source : Xinhua, 5/10/2014
Le marché des industries culturelles est émaillé de « fortes disparités » entre les pays de la Communauté est-africaine (CEA) – Kenya, Ouganda, Tanzanie, Burundi et Rwanda, indique Léonce Ngabo, président de l’East African Film Network (EAFN, réseau des festivals et des professionnels du film de la CEA).
« Ce qu’il faut entendre par industries culturelles dans cette sous-région de l’Afrique de l’Est, c’est un accent particulier qui est mis sur la dimension économique de la culture. Cela sous- entend notamment la contribution de la culture pour la création des emplois et pour la lutte contre la pauvreté. Mais aussi à différents niveaux, ça fait référence à la catégorisation des différentes industries : la musique, le cinéma, le livre », a précisé M. Ngabo, artiste musicien burundais, dans une interview accordée à Xinhua, en marge de d’un atelier international tenu cette semaine à Bujumbura, sur le rôle de la culture dans la société civile organisé par le Collectif burundais des producteurs pour le développement de l’audiovisuel et du cinéma (COPRADAC).
Le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie, qui sont de culture anglophone, sont rès avancés au niveau des industries culturelles par rapport au Rwanda et au Burundi, de tradition francophone parce que l’ancienne administration coloniale britannique insistait beaucoup sur la dimension économique de la culture, estime M. Ngabo.
« Dans ces trois pays, de gros investissements ont été initiés depuis longtemps au niveau de la radio et de la production cinématographique », a-t-il ajouté. Le Burundi et le Rwanda, ayant une tradition musicale, « sont venus timidement adhérer aux industries culturelles, en l’occurrence au niveau de la musique ou de la production audio-visuelle cinématographique ».
Les raisons de cette timidité sont multiples, a-t-il noté. En dehors de l’histoire coloniale qui n’a pas favorisé l’émergence ou le développement des industries culturelles, a poursuivi M. Ngabo, il sied de prendre en compte aussi une certaine mentalité qui a fait prévaloir durant longtemps une perception (bâtie sur des préjugés ou des stéréotypes) selon laquelle « un artiste est considéré, dans une société traditionnelle burundaise ou rwandaise, comme quelqu’un de la basse classe ».
« Vous savez vous-mêmes que jusque tout récemment au Burundi ou au Rwanda, un enfant qui opte pour faire des études musicales ou cinématographiques est mal considéré et se voit découragé par ses propres parents. Ceux-ci le dissuadent d’avance de suivre une telle carrière professionnelle en le convaincant que la musique ou le cinéma ne sont pas des secteurs porteurs de croissance ou d’ épanouissement socio-économique », a-t-il souligné.
Pour M. Ngabo, ce n’est que plus tard à la faveur de l’ influence des autres pays initiateurs de la CEA et des autres pays du monde, que les Burundais et les Rwandais ont intériorisé petit à petit que le secteur artistique pouvait être porteur de croissance s’il est porté à une dimension économique, donc industrielle.
C’est dans le cadre de ce renouveau culturel qu’il faut situer pour le cas du Burundi en 1973 la réalisation du premier concours national de la chanson baptisé « pirogue d’or de la chanson » alors que les autres pays initiateurs de la CEA diffusaient depuis l’ époque des années 1950 dans leurs radios des chansons rédigées en langues autochtones.
Il en est de même pour les films de long métrage, a-t-il ajouté en faisant que les premiers films de long métrage burundais et rwandais ont été produits respectivement en 1991 et en 2003 alors qu’alors le premier film de long métrage kenyan a été produit à l’ aube de l’an 1987.
Il a rejeté aussi l’hypothèse selon laquelle les différents régimes burundais et rwandais auraient eux-mêmes leurs parts de responsabilités dans cette mollesse en matière de développement des industries culturelles.
« Moi je ne vois cette question sous cet angle. Vous savez que le Burundi ou du moins les pays africains subsahariens en général, dépendent parfois jusqu’à 70% des pays du Nord pour tous les financements des projets de développement. Et souvent qu’est-ce qui arrive ? C’est eux finalement qui font les choix des secteurs qu’ils veulent financer. Aujourd’hui par exemple, pour une requêtede financement pour un projet culturel, vous pouvez courir dans toutes les ambassades ici et vous faire rétorquer qu’il n’y a pas de coopération culturelle avec votre pays. En dehors des rares cas où, de manière ponctuelle ils peuvent intervenir, on découvre que la substance du problème n’est pas burundo-burundaise, mais plutôt qu’il faut localiser de telles entraves au niveau des bailleurs de fonds pour lesquels le financement des industries culturelles ne constitue pas une priorité », a-t-il expliqué.
A mes yeux, a-t-il affirmé, même si le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie disposent d’une longueur d’avance par rapport au Burundi et au Rwanda en matière de développement d’industrie culturelle, ceux-ci disposent en revanche des atouts ou de potentialités locaux pour rattraper les retards enregistrés dans ce domaine.
« Aujourd’hui, on peut se vanter au Burundi d’avoir une richesse énorme et diversifiée au niveau des différents segments de la culture. En effet, la tendance actuelle pour les artistes locaux est celle de se ressourcer auprès de leurs musiques authentiques. Cela constitue un gros atout au niveau de l’industrie musicale qui évolue dans un environnement d’ouverture et de démocratisation des médias. Ainsi, une diffusion d’une musique typiquement burundaise peut être diffusée au Rwanda, au Kenya, en Tanzanie et vice versa », a-t-il noté.
M. Ngabo a ajouté que le défi majeur du moment à relever pour les pays de la CEA est de concilier la protection des propres valeurs culturelles au plan national tout en répondant au rendez- vous mondial de la migration du système analogique au système numérique à la mi-juin 2015.