Charles Onana, l’homme qui dérange le pouvoir de Paul Kagamé

Ces derniers jours, les réseaux sociaux puis les médias et reporters sans frontières ont alerté sur le licenciement d’un journaliste de BBC AFRIQUE , Jacques Matand suite à une plainte du gouvernement du Rwanda. En novembre 2019 , Jacques Matand avait accordé une interview à Charles Onana, journaliste d’investigation et politologue.

Charles Onana est un nom bien connu dans la diaspora rwandaise. En effet, depuis deux décennies, il enquête et publie plusieurs livres sur le génocide contre les Tutsis et les Hutus modérés en 1994 au Rwanda. Son approche va à contre courant de l’histoire officielle que le pouvoir actuel du Rwanda entend imposer comme vérité historique. Dans son dernier livre Rwanda, vérité sur l’opération Turquoise qui vient de paraître, il explique notamment qu’on a souvent pris le génocide comme  » seul curseur  » pour expliquer tous les évènements qui ont eu lieu à partir d’avril 1994 au Rwanda, or il met en évidence d’autres sources de violences et montre que le génocide n’est pas la cause principale des massacres de 1994 mais plutôt la conquête du pouvoir avec la violence armée comme méthode d’accès au pouvoir. l’auteur remet en cause l’idée selon laquelle l’opération turquoise a permis à la France d’exfiltrer des génocidaires au zäire et de leur livrer des armes. Cette thèse qui est défendue par l’actuel gouvernement rwandais empoisonne les relations entre la France et le Rwanda depuis un quart de siècle. 

Il accuse notamment Paul Kagamé, ancien chef rebelle d’être l’organisateur de l’attentat du 06 avril 1994 qui a coûté la vie à l’ancien président Juvénal Habyarimana; cet attentat est considéré comme l’élément déclencheur du génocide contre les Tutsis et les Hutus modérés. Paul Kagamé et l’Etat rwandais portent plainte en 20002 pour diffamation mais sont déboutés. Une seconde plainte sera déposée mais l’état rwandais la retire suite à un dépôt d’offre de preuve du journaliste. Le journaliste a également enquêté sur le rôle de la rébellion du front patriotique rwandais ( FPR) dirigé par Paul Kagamé sur le territoire de la république démocratique du Congo ( RDC). Officiellement, le front patriotique rwandais est intervenu en RDC pour éliminer les génocidaires qui constituaient une menace pour le Rwanda de l’après génocide mais le journaliste démontre preuve à l’appuie qu’il s’agissait plutôt d’un prétexte permettant au Rwanda de franchir légalement la partie orientale de la RDC où sont concentrés les ressources minières en coltan, cobalt et diamant. 

Ces adversaires le qualifient de négationniste et révisionniste car il accuse l’actuel pouvoir rwandais d’avoir massacré systématiquement des civils Hutus dans les zones contrôlées par le FPR. Officiellement, le gouvernement rwandais considère que ce sont les Hutus qui ont commis un génocide contre les Tutsis , le FPR composé en grande majorité d’exilés Tutsis a pu tuer des Hutus mais il s’agissait de victimes collatérales. Charles Onana balaye cette thèse et démontre méthodiquement que le FPR a massacré systématiquement et méthodiquement des civils Hutus principalement des femmes, enfants, vieillards dans les camps de réfugiés . Le rapport mapping des nations unies fait état de ces massacres qui peuvent être qualifiés de génocide devant un tribunal compétent. L’organisation médecins sans frontières a également dénoncé ces massacres sytématiques. Depuis 25 ans , Charles Onana n’a jamais été condamné pour négationnisme ou révisionnisme. 

Le livre Rwanda, vérité sur l’opération Turquoise qu’il vient de publier aux éditions de l’artilleur est le fruit d’un long travail d’investigation de dix ans. Le journaliste d’investigation a beaucoup exploité les archives du conseil de sécurité qui sont une source d’informations très riches. A travers ce livre, Charles Onana revient sur les principales accusations faites souvent à la France pour son rôle dans le génocide au Rwanda et il montre également que durant la période d’avril 1994 jusqu’en juin 1994, le FPR a refusé une quelconque intervention d’une force internationale pour stopper les tueries alors en cours au Rwanda. 

La France est souvent accusé d’avoir apporté un soutien diplomatique et militaire au gouvernement intérimaire rwandais car la France avait reçu en avril 1994 l’ancien ministre des affaires étrangères Jérôme Bicamumpaka venu demander un soutien de la France pour un cessez-le-feu entre le FPR et le forces armées gouvernementales. Or la France n’a pas donné suite à cette demande et au conseil de sécurité il n’existe aucun document , aucune déclaration attestant le soutien de la France au gouvernement intérimaire. Jérôme Bicamumpaka décrit comme un génocidaire par l’état rwandais a été acquitté de toutes les chefs d’accusation devant le tribunal pénal international pour le Rwanda ( TPIR). 

L’état rwandais accuse également la France d’avoir livré des armes aux forces armées rwandaises ( FAR) en RDC sous couvert de l’opération Turquoise. Cette thèse est défendue par le journaliste Patrick De Saint Exupéry proche du gouvernement rwandais et l’ancien militaire français Guillaume Ancel. Le colonnel Luc Marchal, officier belge dela MINUAR ( mission des nations unies pour le Rwanda) a confirmé à Charles Onana qu’il n’avait jamais vu de livraisons d’armes des forces françaises aux FAR. Patrick De Saint Exupéry n’a jamais fourni aux juges des preuves relatives à ses accusations contre les militaires de l’opération Turquoise. Il a été condamné à deux reprises par la justice pour diffamation et les juges de la cour de cassation estiment que ces accusations ne reposent pas sur « une base factuelle suffisante ». Le capitaine Ancel n’est pas parvenu à fournir également des preuves pour étayer ses déclarations. De plus, l’officier français n’a jamais fait état d’une quelconque livraison d’armes aux FAR ni dans son rapport de fin de mission le 15 septembre 1994 ni dans l’interview qu’il a accordé en décembre 1994 à la nouvelle revue d’artillerie. 

Charles Onana est devenu persona non grata à Kigali, la capitale rwandaise. Il dérange car en examinant les principales accusations exportées par les actuelles autorités rwandaises et amplifiées par certains médias et universitaires, il démontre que ces accusations sont fragiles, inconsistantes voire erronnées. Le gouvernement rwandais réagit par la pression et la censure de ceux qui s’écartent du discours officiel. Les pressions exercées par le Rwanda contre des journalistes ne sont pas un fait nouveau. Depuis 2014, les très populaires programme de BBC en kinyarwanda ont été suspendus à  la suite de la diffusion du documentaire Rwanda ‘s untold story (l’histoire jamais raconté) sur le génocide qualifié de négationniste par les autorités rwandaises. L’enquête du média britannique soulevait également la thèse d’une possible implication du président Paul Kagamé dans l’assasinat de son prédecesseur Juvénal Habyarimana

https://www.youtube.com/watch?v=tlP0AQdKhgs