Interview exclusive avec Servilien Nitunga :« Il faut des stratégies correctionnelles et non punitives »

Problème de leadership et de management, manque d’encadrement et de coordination, les aléas climatiques, absence du cadre légal, des malversations, sont quelques défis auxquels se sont heurtées certaines coopératives collinaires. Servilien Nitunga, directeur général du Fonic, s’exprime.

Quels sont les résultats de l’évaluation faite dernièrement par le Fonds national d’investissement communal (Fonic) à l’endroit des coopératives collinaires ?

Le gouvernement burundais a octroyé un crédit sans intérêt à 2911 coopératives collinaires en 2019-2020. ll était prévu qu’après deux ans d’exercice, les coopératives devraient rembourser le prêt de 10 millions.

Nous avons effectué les descentes dans toutes les communes du pays. On a rencontré les représentants de toutes les coopératives et on a commandité une évaluation pour dégager la santé financière de ces coopératives.

Comment avez-vous procédé ?

Dans la méthodologie, il fallait mettre les coopératives dans trois catégories. La 1e catégorie était de 0 à 5 millions. La 2e catégorie était de 5 à 10 millions. La 3e catégorie était à plus de 10 millions. Pour plus de 10 millions, la coopérative se classait dans une catégorie de couleur verte, celle se trouvant entre 5 et 10 millions se classait dans une catégorie de couleur jaune. Et celle se trouvant avec un patrimoine inférieur à 5 millions se classait dans la catégorie de couleur rouge.

Concrètement, quid des résultats?

Nous avons constaté que la politique du gouvernement a été une réussite parce que plus de 62% des coopératives ont réalisé un bénéfice de plus de 10 millions. Celles qui ont réalisé un bénéfice de moins de 10 millions mais supérieur à 5 millions se chiffrent à 30% et celles se trouvant dans la zone rouge se chiffrent à 8%.

Après l’évaluation, quels sont défis ?

Ils sont de plusieurs ordres. Primo, des défis liés au manque de leadership et au management des coopératives elles-mêmes.

Secundo, le manque d’encadrement. Un encadrement qui devrait être assuré par l’administration et les différentes institutions techniques qui ont été mises en place pour mener ce travail, en l’occurrence le Fonic, l’Agence de promotion et de régulation des sociétés coopératives (Anacoop), la direction générale de décentralisation. Il y a eu, en général, un problème de coordination qui n’était pas bien développé.

Tertio, nous avons constaté qu’il y avait la problématique des compétences des membres des comités des différentes coopératives. Des défis liés aux aléas climatiques (les maladies, la sécheresse, les inondations, etc.).

Qu’en est-il du cadre légal ?

Il s’est observé aussi un problème du cadre légal lorsque nous avons constaté que les clients des coopératives n’avaient pas de contrat avec ces dernières, ce qui a fait que, parfois, le remboursement des montants n’a pas été facile.

Pas de malversations ?

Certains membres des comités des coopératives ont trempé dans des malversations. La mauvaise gestion s’est observée dans certaines coopératives. La comptabilité n’a pas été bien assurée.

Nous sommes en train de trouver un remède qui convient à chaque catégorie et de développer des stratégies pour aider chacune à contourner ces défis et à se mettre sur les rails du développement.

Quelles sont ces stratégies ?

Pour les coopératives se trouvant dans la zone rouge, nous allons dégager des stratégies de relèvement. Pour les coopératives dans la zone jaune, nous allons dégager des stratégies de renforcement. Quant aux coopératives se trouvant dans la zone verte, nous allons appliquer des stratégies de consolidation et de pérennisation.

Concrètement….

Pour les coopératives qui sont dans la zone rouge, nous allons organiser des séances de formation, de renforcement des capacités en matière de leadership. Nous allons les encadrer et les aider à revoir les membres du comité de gestion de ces coopératives. Il y en a qui vont être remplacés.

Nous comptons, dans un proche avenir, organiser d’autres séances de renforcement des capacités pour que la 2e phase de financement puisse se retrouver dans de bonnes mains et donner de bons résultats.

Des poursuites judiciaires à l’encontre des membres des coopératives qui ont trempé dans des malversations ?

L’objectif de l’Etat responsable et laborieux n’est pas punitif. Nous allons donc accompagner la politique du gouvernement en mettant en place des stratégies non pas punitives, mais des stratégies correctionnelles. Même quand nous allons débourser la 2e tranche de financement, nous allons servir tout le monde avec des remèdes qui conviennent à chaque coopérative.

A quand justement la 2e tranche de financement ?

Nous avons collecté des projets pour chaque coopérative. Ces projets ont d’abord été analysés au niveau des conseils communaux. Les projets ont ensuite été soumis aux administrateurs pour validation. Ils ont demandé conseil au Fonic. Ce dernier est en train d’analyser tous les projets. C’est sur base de ces projets qu’on a pu attribuer le montant aux coopératives. Pour le moment, le financement des coopératives se trouve au niveau des communes. Et bientôt, nous allons sortir une note qui montrera comment ce montant sera attribué aux coopératives.

Pour éviter la mauvaise gestion, le problème d’encadrement, il y aura un contrat qui sera signé entre les coopératives et les communes dans le but de rehausser l’engagement de l’administration locale dans le suivi de ces coopératives. Et aussi aider ces dernières à être redevables auprès des communes et des responsables.

Comment allez-vous procéder pour faire le recouvrement ?

Nous allons mettre en place des stratégies qui vont nous permettre de faire le recouvrement.

Au niveau de la commune, il y aura un compte bancaire sur lequel ceux qui veulent rembourser pourront verser leurs montants.

Au niveau du Fonic, il y aura un compte qui sera logé à la BRB lequel compte pourra héberger les remboursements.

A quoi va servir ces montants ?

Ces financements vont aider dans ce qu’on appelle la péréquation. La péréquation est le fait d’utiliser les financements pour appuyer les collectivités locales sur base des besoins et des objectifs pouvant aider à atteindre de bons résultats.

Sur le long terme, le gouvernement ne donnera plus les 10 millions à chaque coopérative parce qu’au sein du Fonic se trouvera un cercle complet qui proviendra des remboursements qui vont revenir dans le circuit pour refinancer les coopératives.

Comment appréciez- vous l’impact de ces coopératives ?

L’objectif du gouvernement était de faire face à l’insécurité alimentaire récurrente. Aujourd’hui, personne ne crie à l’insécurité alimentaire.
A titre d’exemple, la province Kirundo, souvent frappée par la famine et sollicitant à maintes reprises l’aide auprès d’autres provinces, est redevenue le grenier du pays. Il y a un surplus de production de haricot et la province demande au gouvernement de l’aider à écouler cette production.

N’y aura-t-il pas risque de manque du marché d’écoulement ?

Cela fait partie des stratégies que nous sommes en train de mettre en place. Pour le moment, nous sommes en train de développer ce que nous appelons la chaîne de valeur, c’est-à-dire de la production en passant par la transformation jusqu’à la commercialisation. Les ministères concernés sont en train de travailler ensemble pour arrêter des mécanismes afin qu’il n’y ait pas de problème à ce niveau.

Où en est-on avec le projet de fusion du Fonic et le Fonds de micro-crédit rural ?

Une bonne initiative qui n’a pas pu être concrétisée. Cela serait une bonne chose parce que les trois institutions (le Fonic, le Fonds de micro-crédit rural et la direction générale des finances communales) pourraient aboutir à de bons résultats si elles travaillaient en synergie.

Quel est le degré de collaboration entre le Fonic et l’Anacoop ?

Chaque institution a son cahier des charges, mais les deux sont complémentaires. Le Fonic s’attèle à tout ce qui est orientation au niveau de l’investissement, c’est-à- dire se rassurer que les critères, les principes de gestion financière, de financement et d’investissement sont mis en place. L’Anacoop s’occupe beaucoup plus de l’encadrement organisationnel et institutionnel des coopératives.

Le Fonic est supposé être le partenaire technique et financier dans l’exécution des plans communaux de développement communautaire. D’aucuns disent que le Fonic ne joue pas pleinement son rôle. Qu’en dites-vous ?

Ceux qui le disent ne sont peut-être pas bien informés du fonctionnement et des réalisations du Fonic. Nous sommes partie prenante du système communal. Nous sommes là pour orienter et aider les communes sur la canalisation des financements et sur la péréquation et le développement des projets d’intercommunalité.

Bientôt, nous allons développer des stratégies pour aider tous les partenaires à comprendre que si réellement l’on veut avoir des communes comme pôles de développement, il faudra maîtriser les financements qui sont orientés au niveau des communes. Le Fonic est en train de voir comment aider les communes à avoir ce que l’on appelle le droit de tirage chaque année afin de mieux orienter ces financements dans des projets porteurs de développement.

Propos recueillis par Félix Haburiyakira