Les taux d’intérêt ont repris leur ascension, et sont donc susceptibles de mettre les marchés financiers sous pression. Faut-il pour autant s’attendre à une nouvelle crise ? Pour qu’une crise financière se produise, il faut au moins l’un de ces 3 ingrédients: des emprunts excessifs, une bulle spéculative, et un déséquilibre entre les dettes et les actifs.
La crise de 2008 avait été particulièrement grave, parce qu’elle impliquait la totalité de ces 3 facteurs : une bulle spéculative sur le marché immobilier, et des bilans de banque qui étaient à la fois gonflés et dépendants du financement de court terme.
L’endettement des entreprises
Cette fois-ci, c’est probablement de l’endettement excessif des entreprises que viendra la prochaine crise. Cela peut sembler contre-intuitif, compte tenu que leurs bénéfices ont fortement augmenté, et que l’on s’attend à une hausse de 25 % des bénéfices annuels des entreprises qui composent l’indice S & P 500.
Mais une grande majorité d’entre elles ne sont pas dans cette situation. Au cours des dernières années, elles se sont endettées pour profiter de la déductibilité des intérêts sur leurs impôts. Celles qui avaient des disponibilités en ont profité pour racheter leurs actions, parfois pour faire monter le cours de ces dernières (et par conséquent, la valorisation des stock-options détenues par leurs dirigeants).
Le faible niveau des taux d’intérêt a favorisé cette tendance. Selon l’agence de notation Standard & Poors, 37% des multinationales étaient fortement endettées en 2017. C’est 5 points de plus qu’en 2007, à la veille de la crise financière. Des sommes d’argent toujours plus importantes ont été prêtées à des entreprises avec des cotes de crédit moins bonnes. Du fait que les taux d’intérêt commencent à remonter, beaucoup de ces emprunteurs moins solides ne pourront plus rembourser leurs prêts.
Des marchés de plus en plus risqués…
En conséquence, la cote de crédit des marchés s’est détériorée. Depuis 1980, la cote médiane des obligations est passée de A- à BBB- (une cote située juste un cran au-dessus de la cote « junk », c’est-à-dire pacotille).
Même les entreprises qui se targuaient d’avoir les meilleures cotes ont vu celles-ci se dégrader. Selon PIMCO, une société de gestion obligataire, 48% des obligations des entreprises les mieux notées sont maintenant cotées BBB. C’est 25% de plus que dans les années 1990. Signe que ces entreprises sont bien plus endettées qu’auparavant, le ratio de l’effet de levier net des entreprises cotées BBB est maintenant de 2,9, contre 1,7 en 2000.
…et des investisseurs qui ne réclament pas leur prime de risque
Le fait que les investisseurs ne réclament pas pour autant des rendements plus élevés pour compenser les risques accrus liés à cet endettement constitue un autre signal malsain. De même que les taux d’intérêt bas ont encouragé les entreprises à emprunter, ils ont incité les investisseurs à garnir leurs portefeuilles d’obligations, faute de trouver de meilleurs placements pour leurs disponibilités.
La chute de 40 % du coût des couvertures de défaillances (CDS) dans ce contexte au cours des 2 dernières années est un autre signe inquiétant. Tout se passe comme si la perspective d’un défaut des entreprises inquiétait moins les investisseurs, alors que les risques ont été pratiquement inchangés au cours de cette période.
Autrement dit, les investisseurs ont renoncé à se faire rémunérer pour une partie des risques qu’ils prennent. Si l’on ajoute la baisse de la liquidité du marché obligataire, liée au désintérêt des banques pour les activités de marché, on a la recette parfaite pour la prochaine crise financière, affirme The Economist.
Le retrait des banques centrales, qui commencent à stopper leurs injections monétaires, devrait faire le reste.
Nous sommes déjà entrés dans la zone de risque
Pour la société de recherche Gavekal, nous sommes déjà entrés dans la zone de danger. Les analystes de marché ont tendance à suivre la différence entre les taux de long terme et de court terme des bons du Trésor américain, pour tenter d’y détecter un potentiel indicateur de contraction. Selon la banque d’affaires Goldman Sachs, une inversion de la courbe des taux (c’est-à-dire le fait que les taux des obligations à long terme sont rattrapés par ceux des obligations à court terme en dépit du risque accru que présentent ces titres) était le signe annonciateur des 7 dernières récessions.
Mais les politiques d’assouplissement quantitatif des banques centrales ont brouillé la configuration des marchés financiers. Désormais, il est donc plus judicieux de s’intéresser à l’évolution des obligations du secteur privé, affirme Charles Gave directeur de Gavekal.
Il s’est penché sur les taux de rendement des obligations à long terme d’entreprises cotées BBB, qu’il a comparés aux taux d’intérêt qu’elles pouvaient obtenir des banques. Il a constaté que ces taux étaient actuellement équivalents.
Si les taux des crédits consentis par les banques deviennent supérieurs à ceux des obligations, il faudra s’attendre à « une récession aux États-Unis, un accident financier ailleurs, ou les deux », affirme cet économiste.
Audrey Duperron