Devant un parterre de participants, le premier conférencier Alexis Niyibigira, psychologue a développé le thème sur « Comment lier la gestion des blessures du passé et la réconciliation », tout en insistant sur ce que souffrent les Burundais ?
Selon, lui les Burundais souffrent de ce que l’on appelle état de stress post-traumatique, ce qui signifie l’ensemble des troubles résultant de la confrontation d’un événement traumatique qui continue à perturber le fonctionnement psychique au fur du temps.
Et d’énumérer les grands symptômes qui symbolisent cette situation dont les reviviscences de l’événement, les sentiments d’évitement et l’hypervigilance.
Le conférencier a cité quatre piliers de la justice transitionnelle tels que développés par Louis Joinet dont le droit à la vérité, le droit à la réparation, le droit à la justice et le droit à la garantie de non répétition.
« Nulle part, on ne parle de la guérison psychologique », a fustigé le psychologue Alexis Niyibigira, tout en faisant observer : « La plupart des commissions vérité et réconciliation ont échoué parce qu’elles ont oublié le volet concernant la guérison des blessures ».
Et de faire un clin d’œil à la CVR que la guérison des blessures devrait faire partie de son travail au niveau de la réparation. « Sans la guérison des blessures, la réconciliation est impossible ou éphémère », a-t-il insisté.
Il faut un avenir partagé
Pour Alexis Niyibigira, le rôle de la réconciliation c’est d’arriver à un avenir partagé. Et de se poser la question de savoir si réellement au Burundi l’on a une vision partagée de l’avenir ? « Au Burundi l’on a ce que l’on appelle la concurrence victimaire. Certains pensent qu’ils ont souffert plus que les autres ».
Pour lui, il faut que les victimes se réconcilient avec leurs bourreaux tout en évitant l’amertume et la haine, qui selon lui, conduisent à l’autodestruction.
Le conférencier a fait savoir que la réconciliation exige du temps et l’espace pour le deuil. « Est-ce que les Burundais ont eu le temps de deuil, d’exprimer leur colère, de cicatriser leurs blessures ? », s’est-il interrogé.
Pour lui, du trauma individuel, on évolue vers le trauma collectif et par ricochet vers le trauma intergénérationnel. « C’est le trauma intergénérationnel qui explique le cycle des violences », a-t-il constaté.
Quid de la guérison ?
« C’est une garantie de sécurité pour promouvoir la paix, le dialogue, l’empathie, l’intérêt commun, se souvenir pour la transformation des mémoires traumatiques », a expliqué M. Niyibigira.
Pour lui, les gens retrouvent le goût de la vie et deviennent capables d’interagir dans la société, et de ce fait, favorables à la réconciliation et à la sauvegarde de la paix par le développement d’une mémoire positive et une lecture commune et critique des évènements de leur passé commun.
Il a suggéré de prendre en considération la guérison des blessures comme une approche transversale dans le traitement du passé et tenir compte de la cicatrisation des blessures au niveau de la recherche de la vérité, de la justice et des réparations. Pour lui, la cicatrisation des blessures va faciliter la réconciliation et la restauration de la confiance.
Instruments à développer pour la prise en charge
Pour ce psychologue, il faut constituer des groupes de soutien, former les assistants et animateurs sociaux pour assister les communautés affectées par le passé douloureux.
« Il faut développer les mécanismes locaux de traitement du passé, comme les moments le deuil, le rôle de mémoire dans la reconstruction sociale, les commémorations, les dialogues communautaires et intergénérationnels, les différentes formes de réparations symboliques ; mémorielles, matérielles et psychologiques », a-t-il renchéri.
Et de constater que suite à la transmission violente de la mémoire, les gens ont avalé du poison qu’ils doivent à tout prix cracher.
Pour lui, négliger la guérison dans le processus de recherche de la paix entrave ou nuit à la réconciliation surtout en cas de conflits avec massacres où les antagonismes vivent à proximité géographique.
Dans ce processus de réconciliation, a-t-il indiqué, chaque pays doit emprunter son propre chemin. Et de conclure : « Le silence et l’amnésie sont les ennemis de la réconciliation pour les victimes, les agresseurs et les générations futures. « Oublions et continuons » ça ne colle pas avec le traitement du passé douloureux »
Quid des conflits entre Burundais et leur histoire ?
Laurent Kavakure a axé sa présentation sur « comment réconcilier le Burundi avec son histoire ». D’emblée, sans toutefois revenir sur les 4 piliers de la justice transitionnelle, le commissaire Kavakure, a fait savoir que la CVR du Burundi semble privilégier le pilier du droit à la vérité au service de la réconciliation.
Pour lui, la réconciliation est évoquée pour résoudre un conflit. Le conflit est normal et inhérent à la nature humaine, a-t-il fait remarquer.
Il a informé qu’à travers les Accords d’Arusha, les Burundais se sont convenus sur la nécessité de réécrire l’histoire du Burundi. Et de regretter qu’il y ait eu des tentatives de commission de réécrire l’histoire du Burundi mais que lesdites commissions n’ont pas pu fonctionner. « L’espoir est maintenant braqué sur la CVR pour réécrire l’histoire du Burundi, une histoire qui est largement partagée par la plupart des Burundais ».
Qu’en est-il des grandes dates tragiques ?
En 1885, a informé Laurent Kavakure, il y a eu la Conférence internationale de Berlin pour le partage colonial de l’Afrique. Le Burundi a été attribué à l’empire colonial allemand.
Et de préciser que le régime colonial a été qualifié de crimes contre l’humanité.
L’année 1896, a-t-il ajouté, a coïncidé avec la première installation des missionnaires catholiques à Muyaga. Une autre forme d’invasion et d’agression. Les missionnaires et l’administration vont travailler étroitement.
En 1903, a-t-il poursuivi, le roi Mwezi Gisabo a signé le traité de Kiganda, une sorte d’imposition et d’humiliation devant les Allemands.
En 1925, a fait savoir le conférencier, c’est la mise en place de la réforme administrative coloniale belge. Le conférencier a informé que ladite réforme a mis en place la théorie sur l’inégalité de races qui a consacré l’exclusion totale des Bahutu du secteur politico-administratif au profit des Batutsi.
Des assassinats et des violations massives des droits de l’Homme
Pour le conférencier, l’année 1961 a marqué le début des tragédies qui se sont abattues sur le Burundi. Ainsi, a fait savoir le commissaire Kavakure, en 1961, c’est l’assassinat du prince Louis Rwagasore. Un assassinat suivi en 1962 par celui des leaders syndicalistes hutu du parti du peuple (PP) à Kamenge et du premier ministre hutu, Pierre Ngendandumwe en 1965.
Dans toutes ces situations, les présumés auteurs n’ont jamais été inquiétés, encore moins jugés, a-t-il déploré.
La même année en octobre, a-t-il poursuivi, il y a eu tentative de coup d’Etat militaire pour renverser la monarchie. Tentative attribuée aux officiers hutu de la gendarmerie mais à la lumière des faits cette tentative a été coordonnée à Michel Micombero qui était secrétaire d’Etat à la défense. Il y aura une purge des hutu dans l’armée, l’administration et au Parlement.
L’ambassadeur Kavakure, a indiqué qu’en 1966, c’est le coup d’Etat opéré par le capitaine Michel Micombero qui a renversé la monarchie. Micombero a instauré un régime clanique et régional.
Des tentatives de coup d’Etat
Le conférencier a dit qu’en 1969, on a parlé d’une tentative de coup d’Etat attribué aux officiers militaires et civils hutu. Et de déplorer que beaucoup de personnes ont arrêtées arbitrairement et sommairement exécutées sans avoir droit à un procès équitable.
En 1971, c’est une nouvelle tentative de coup d’Etat attribuée aux Batutsi Banyaruguru, soi-disant pour tuer et renverser le président Micombero. Mais cette fois-ci, a fustigé Laurent Kavakuré, des mesures de grâce ont été accordées.
Pour l’année 1972, a fait savoir l’ambassadeur Kavakure, il y aura l’extradition du roi Ntare V Charles Ndizeye à partir de l’Uganda. Il est emprisonné à Gitega et sera tué le 29 avril 1972.
Pour le commissaire Kavakure, la période de 1972- 1973 est qualifiée de génocide et de crimes contre l’humanité. « Des bandes armées des Bahutu ont massacré des Batutsi au sud du pays sur le littoral du lac Tanganyika et dans les localités de Mabanda et Vugizo. Le pouvoir a procédé à des arrestations ciblées des hutu et les a conduits à la mort ».
Et de préciser que la CVR a qualifié ces assassinats de génocide et de crimes contre l’humanité contre les Bahutu et de crimes contre l’humanités contre les Batutsi sur le littoral du lac Tanganyika et de crimes contre l’humanité contre les Batwa.
Des recommandations
Les participants ont épinglé l’impunité des crimes qui, selon eux, est à l’origine des cycles de violence qui ont endeuillé le Burundi.
Ils ont recommandé la mise en place des structures locales pour la prise en charge psychosociale des personnes affectées par le passé mais aussi reconnaître le rôle des confessions religieuses dans ce travail.
Par ailleurs, les participants ont suggéré la formation des jeunes sur les mécanismes de justice transitionnelle. En outre, ils ont proposé de travailler avec les jeunes en les associant dans le processus de réconciliation.
Une conférence venue à point nommée
Dans son mot de bienvenu, Père Herménégilde, représentant de la Communauté des Pères de Schoenstatt au Burundi et dans la région des grands lacs, a indiqué que l’objectif du projet est de contribuer à la consolidation de la paix et à la réconciliation qui sont indispensables pour le développement intégral au Burundi et ailleurs.
Et de faire savoir que depuis 1974, les Pères de Schoenstatt participent de façon active à l’édification d’une société réconciliée, éprise de paix et de justice.
« Ce travail passe par la formation et l’éducation qui ont été réalisées en suivant l’objectif spécifique de notre spiritualité à savoir la formation de l’homme nouveau dans la communauté nouvelle en vue de créer un nouvel ordre social caractérisé par la justice, la vérité et l’amour comme c’était le désir ardent de notre fondateur le Père Joseph Kenternich », a-t-il insisté.
Dans le même ordre d’idées, a-t-il annoncé, il est prévu de créer des réseautages avec différents partenaires engagés dans la paix et la réconciliation pour échanger et transférer les connaissances au niveau local, régional et international pour la paix et la réconciliation.
Le Père Herménégilde a promis que sa Communauté va soutenir toutes les initiatives du gouvernement visant une société réconciliée. Et d’annoncer que Mont Sion veut ériger dans les deux ans à venir un Institut des études avancées de paix et de réconciliation avec une formation diplômante de master.
Par ailleurs, a-t-il informé, un centre de paix et de réconciliation est en train d’être construit à Nyanza-lac dans le diocèse de Bururi.
Du dialogue et du pardon mutuel.
Ouvrant la conférence, Aloys Misago, coordinateur du projet « Paix et réconciliation au Burundi et dans la région des grands lacs, a fait observer que ce sont les guerres incessantes que le Burundi a connues depuis les indépendances qui, non seulement détruisent les biens matériels, mais aussi des vies et des relations sociales.
Et de déplorer : « Les survivants de ces violents conflits ont été et sont encore sous l’angoisse causée par les expériences traumatiques ».
Pour ce professeur d’Université, tous les traumatismes doivent être mis à découvert et être guéris. Il encourage la population burundaise au dialogue et au pardon mutuel.
Pour lui, il faut combattre les injustices sans en haïr les auteurs. Mais, tient-il à nuancer, c’est la victime qui a subi les actes de l’auteur qui autorise pleinement la reconstruction sociale.
En se montrant humaine avec eux, fait-il observer, elle leur donne la possibilité de retrouver leur propre humanité. « Par son récit, elle est reconnue dans sa souffrance et est restaurée dans sa dignité. » a-t-il reconnu.
Par La Rédaction (Iwacu)