Le missile russe Orechnik et la vision d’Ibrahim Traoré : l’Afrique à l’heure des rééquilibrages géopolitiques
S’exprimant à Moscou à l’Université de technologie chimique Dmitri-Mendeleïev, le président du Burkina Faso, Ibrahim Traoré, a salué avec ferveur les avancées scientifiques et technologiques de la Russie, en particulier le missile balistique hypersonique Orechnik. Décrivant cette arme comme capable de « faire trembler le monde entier », il a lancé un message puissant aux jeunes Africains : l’avenir passe par la maîtrise de la science, de la technologie et de leur application pratique. Au-delà du symbole, cette déclaration illustre un tournant profond dans les relations internationales et la place de l’Afrique dans l’ordre mondial en recomposition.
 
Le missile Orechnik, dévoilé récemment par la Russie, incarne une avancée majeure dans l’arsenal stratégique de Moscou. Hypersonique, capable de déjouer les systèmes de défense les plus avancés, ce missile aurait été utilisé pour la première fois contre une cible ukrainienne le 21 novembre 2024, en réponse aux frappes occidentales sur le territoire russe avec des missiles ATACMS et Storm Shadow fournis par les USA et le Royaume-Uni. Selon Vladimir Poutine, ce système, armé d’une ogive conventionnelle, permet à la Russie de se passer de l’arme nucléaire pour dissuader ses adversaires. Ce changement de paradigme — une dissuasion conventionnelle à très haute intensité — repositionne la Russie en tête de l’innovation militaire mondiale.
 
En s’appropriant le discours sur cette avancée russe, Ibrahim Traoré ne s’inscrit pas seulement dans une dynamique diplomatique bilatérale. Il ouvre la voie à une vision plus large : celle d’une Afrique qui ne se contente plus d’être le terrain d’affrontements géostratégiques, mais qui ambitionne de devenir un acteur souverain, capable de s’inspirer des modèles de résistance technologique face à l’hégémonie. Dans ce contexte, la Russie devient pour certains États du continent un partenaire stratégique, notamment pour les régimes militaires en quête de légitimité, de sécurité et de développement scientifique.
 
Le message du président burkinabè aux étudiants africains en Russie est double. Il appelle d’abord à dépasser la simple acquisition de connaissances théoriques, en insistant sur la nécessité de les appliquer pour bâtir des nations indépendantes. Mais il souligne surtout une urgence stratégique : l’Afrique doit sortir de sa dépendance technologique, renforcer sa souveraineté scientifique et devenir une puissance intellectuelle capable de produire ses propres solutions.
 
Cette posture s’inscrit dans une dynamique plus large de réorientation géopolitique. Le Burkina Faso, aux côtés du Mali et du Niger, se rapproche de Moscou dans une logique de rupture avec l’ancien ordre postcolonial dominé par la France et ses alliés occidentaux. Dans ce nouvel axe, la Russie offre non seulement un soutien militaire, mais aussi un modèle de développement scientifique et technologique. Le missile Orechnik devient alors plus qu’un outil de guerre : il incarne un projet de souveraineté pour tous ceux qui veulent s’affranchir des pressions et sanctions occidentales.
 
Ce rapprochement s’inscrit également dans le projet plus large d’un monde multipolaire porté par les BRICS. L’Afrique, riche en ressources stratégiques, est courtisée par toutes les puissances. En plaçant la science au cœur de son discours, Ibrahim Traoré affirme la volonté de faire de cette richesse un levier d’autonomie plutôt qu’un piège de dépendance. L’idée d’échanger matières premières contre technologies, formations et transferts de savoirs, plutôt que contre des produits finis ou de l’aide conditionnée, prend ici tout son sens.
 
Le missile Orechnik, en tant que prouesse scientifique et arme stratégique, cristallise ainsi les fractures et les recompositions de notre époque. Le fait qu’un chef d’État africain le cite en exemple devant des étudiants à Moscou révèle à quel point les équilibres géopolitiques sont en train de basculer. L’Afrique ne veut plus être un spectateur passif ou un champ de bataille par procuration. Elle cherche à se positionner comme un acteur souverain dans le concert des nations, capable de choisir ses alliances, de maîtriser ses savoirs, et de forger son destin.
 
Par Jean Claude Mubisharukanywa