
Avec deux puissances nucléaires, l’Europe a-t-elle vraiment besoin de parapluie américain, face à la Russie? Le problème, c’est que la dissuasion britannique a perdu en crédibilité, ces dernières années. Ce qui laisse dans les faits les alliés européens de l’OTAN très dépendants des capacités nucléaires françaises.
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a remis sur le tapis ce qui faisait déjà peur aux états-majors de nombreux alliés des États-Unis. Le républicain est largement opposé à l’extension du parapluie nucléaire américain au-dessus d’autres pays, qu’il voit comme des profiteurs des capacités de frappe américaines.
Durant son premier mandat, ce sont les partenaires asiatiques de Washington qui étaient dans son collimateur. À tel point qu’il a déterré à peu près à lui seul la question du nucléaire militaire en Corée du Sud. Mais depuis sa réélection en novembre dernier, et dans un contexte de très fortes tensions avec la Russie, c’est sur les pays européens que Trump met la pression.
Deux puissances nucléaires en Europe
“Une arme nucléaire nationale est l’ultime outil de dissuasion”, rappelait l’ancien colonel Roger Housen, qui prédisait une nouvelle course à l’atome à l’échelle mondiale.
Pourtant, l’Europe n’est déjà pas mal lotie, sur le papier. Le continent compte deux puissances nucléaires, la France et la Grande-Bretagne. Ce qui laissait entrevoir un modèle bicéphale, qui protégerait ainsi la dissuasion européenne des aléas politiques et électoraux.
Sauf que les deux piliers ne sont pas aussi solides l’un que l’autre, selon une analyse du média français spécialisé Meta-Défense. Si Paris possède bien à la fois une capacité de lancer une arme nucléaire par avion et par sous-marin, Londres ne possède plus la première depuis 1998. La dissuasion britannique ne passe plus que par des sous-marins lanceurs d’engins, et là aussi, le tableau n’est guère brillant.
Échecs pour la Royal Navy
Les deux dernières fois que la Royal Navy a testé son missile nucléaire Trident II D5, en 2016 et 2024, furent des échecs. Avec à la clef la destruction de l’engin – et même un risque réel d’accident pour le sous-marin lanceur, la dernière fois. Aucun nouveau test n’est prévu, ce qui sape la crédibilité de la dissuasion nucléaire du pays.
La Royal Navy possède, selon sa doctrine, quatre sous-marins lanceurs d’engins ; un en patrouille, deux au port pouvant partir en quelques jours, et le quatrième en maintenance longue. Mais ces sous-marins, de classe Vanguard, sont opérationnels depuis 1994. Ils devaient être remplacés par de nouveaux submersibles à partir de 2022, mais le programme de modernisation de la flotte a été repoussé à l’échéance 2030. La Royal Navy espère recevoir enfin, à cette date, les quatre sous-marins lanceurs d’engins de classe Dreadnought, dont le budget est de 41 milliards de livres (49 milliards d’euros).
Perte des moyens aériens et flottes vieillissantes ne sont pas les seuls maux de la Royal Navy ; celle-ci est également confrontée au manque d’effectifs, avec un seul départ sur trois effectivement remplacé par un recrutement. Elle souffre aussi du manque d’investissement dans les infrastructures portuaires, qui prolongent les périodes de maintenance des vaisseaux. Jusqu’à immobiliser les quatre sous-marins à quai en même temps, en début d’année. Ce qui signifiait que Londres n’avait à l’époque aucune force nucléaire prête à être activée en urgence.
Des bombes françaises pour protéger l’Europe?
En outre, ce parapluie typiquement britannique reste tissé d’une étoffe américaine. Le missile Trident est une arme redoutable, de portée stratégique, mais de conception américaine, et la Royal Navy doit toujours passer par Lockheed Martin pour certains composants essentiels. De facto, la dissuasion britannique n’est pas indépendante.
On notera que le président Emmanuel Macron a encore confirmé cette semaine que la France était “prête à ouvrir” une discussion sur le déploiement d’avions français équipés d’armes nucléaires dans d’autres pays européens.
Dans cette situation, les membres européens de l’OTAN ne peuvent pas se reposer sur un parapluie nucléaire local aussi efficace que sur le papier. De plus en plus de voix en Allemagne ou en Pologne s’élèvent, ces derniers mois, pour considérer qu’avoir son propre arsenal atomique s’avère la meilleure façon de se prémunir de l’imprévisibilité américaine.
Par Matthias Bertrand; Source: Meta-Défense.fr
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