Par Fidens Nzobaha sur le forum Iwacu-burundi.org

Depuis quelques temps, la presse fait état des émissaires de la communauté internationale, dont l’Ambassadrice américaine aux Nations Unies Samantha Power, qui se relaient à Bujumbura pour mettre en garde le parti au pouvoir le CNDD-FDD contre les dérives de la jeunesse du parti les « Imbonerakure ». Ces mises en garde font suite aux rapports « secrets et anonymes » qui continuent de parvenir aux Nations Unies et qui font état de l’entraînement militaire qui serait dispensé à cette jeunesse et aux distributions d’armes de guerre aux mêmes jeunes. A entendre ces cris d’alarme, la situation actuelle au Burundi serait comparable à celle qui prévalait au Rwanda voisin peu avant avril 1994.

Rwanda et Burundi : des faux jumeaux !

Ces deux minuscules pays de la région des Grands Lacs sont très semblables sur le plan géographique et socio- culturel même composition ethnique. Ils ont la même langue parlée dite d’un côté « Kinyarwanda » et de l’autre « Kirundi ». Les locuteurs n’ont pas besoin d’interprètes pour se comprendre quand ils se rencontrent. Pourtant ces deux pays ont connu des évolutions politiques diamétralement opposées depuis les années ’60.

Sous tutelle belge depuis 1919, ils recouvriront leur indépendance le 01 juillet 1962, sous un régime monarchique dominé par les Tutsi pour le Burundi et sous un régime républicain dominé par les Hutu qui s’étaient révoltés en 1959 contre la féodalité tutsi. Un peu plus tard en 1966, le Burundi devenait aussi une République mais le pouvoir resta aux mains de la minorité tutsi dont les militaires, qui venaient d’abolir la monarchie, étaient exclusivement issus de ses rangs. Au Rwanda voisin, un hutu aussi en remplaçait un autre en 1973 et le pouvoir resta donc dominé par la majorité hutu.

Au début des années ’90, l’ouverture démocratique avec l’avènement du multipartisme imposé de l’extérieur s’opéra au Rwanda sur fond de guerre puisque la minorité tutsi avait lancé une rébellion à partir de l’Ouganda et était décidé à, sinon reprendre le pouvoir perdu en 1959, au moins exiger son partage avec les Hutu. Le Burundi aussi ne tarda pas à entrer en guerre suite à l’assassinat du premier président hutu démocratiquement élu Mélchior Ndandaye, qui fut sauvagement massacré en octobre 1993 à peine trois mois après son élection, la majorité hutu sortit elle aussi de sa torpeur et lança une rébellion.

Les deux guerres connaitront aussi des issues différentes qui vont encore marquer les évolutions politiques diamétralement opposées dans ces deux pays « jumeaux ». Au Rwanda, la rébellion tutsi, après avoir assassiné le président hutu Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994 dans un attentat dans lequel périt aussi le jeune président burundais Cyprien Ntaryamira ainsi que leurs suites qui les avaient accompagnées dans un sommet régional à Dar Es Salaam, profitant du vide du pouvoir et du chaos qui s’en suivit, lancera une vaste offensive et s’emparera de la capitale Kigali le 04juillet 1994 avant de conquérir tout le pays à la mi-juillet 1994. La rébellion tutsi du FPR, conduite par le général Paul Kagame, justifiera alors son offensive et sa prise du pouvoir par les armes comme un « devoir moral d’arrêter le génocide» Depuis lors, le régime installé au Rwanda suite à ce coup de force désormais baptisé « campagne pour arrêter le génocide », règne sans partage et maintient dans la terreur les Rwandais , mais aussi a reçu un chèque en blanc de la communauté internationale qui ne doit pas le critiquer et encore moins le sanctionner pour ses crimes et violations flagrantes des Droits de l’Homme, toujours parce qu’il aurait « arrêté le génocide ».

Au Burundi, après des années de guerre, les dirigeants de la région notamment le sud-africain Nelson Mandela et le tanzanien Julius Nyerere parviendront à faire signer au pouvoir tutsi et à la rébellion hutu un accord de partage du pouvoir en 2003. C’est cet accord qui octroie 60 % des postes aux Hutu et 40% aux Tutsi qui a été coulé en Loi Fondamentale (Constitution) et qui régit le Burundi depuis lors.
La gestion du pouvoir d’après guerre est aussi différente dans ces deux pays. Au Rwanda l’élite tutsi principalement venue d’Ouganda qui monopolise le pouvoir justifie son hégémonie par le fait qu’elle aurait « arrêté le génocide » et que donc elle ne doit partager le pouvoir avec quiconque. Tandis qu’au Burundi, les accords d’Arusha sont appliqués à la lettre et que donc les postes dans l’administration comme dans l’armée sont attribués aux Hutu et aux Tutsi selon les cotas convenus.

Le principe des vases communicants

Quant l’élite tutsi au pouvoir au Rwanda observe ce qui se passe au Burundi où le partage du pouvoir entre les deux principales ethnies est officialisé, alors qu’au Rwanda elle a rendu cette question tabou, elle est saisie d’une crainte de contagion de ce modèle qui donnerait les idées aux Hutu rwandais pour réclamer eux aussi le partage du pouvoir.

Quand l’élite tutsi du Burundi observe comment le pouvoir sans partage est exercé par les Tutsi venus d’Ouganda, elle est saisie d’une mélancolie, elle qui était des habitués du pouvoir absolu depuis la nuits des temps jusqu’à ces « foutus accords d’Arusha ». La même élite tutsi du Burundi a compris que l’élite tutsi qui règne sur le Rwanda tire sa légitimité du fait qu’il déclare être arrivée au pouvoir, non par les armes ou par un coup d’état classique, mais « pour arrêter le génocide » ! Cette élite serait donc tentée de concocter un plan pour la reconquête du Burundi. Le tout serait de parvenir à présenter cette prise du pouvoir comme une opération pour « arrêter le génocide ».
Les ingrédients
Comme au Rwanda peu avant 1994, les pièces du puzzle se mettent en place :

 La diabolisation de la section jeunesse du parti au pouvoir, les « Imbonerakure » ;

 La référence permanente aux Interahamwe du MRND, parti du président Habyarimana assassiné le 6 avril 1994 ;

 Des faux documents et des rapports mensongers envoyés au Conseil de Sécurité des Nations Unies, souvent sous anonymat, exactement comme pour le Rwanda de 1992 à 1994 ;

 Le relais dans la presse internationale qui prend soin de ne pas donner la version du gouvernement en place mais plutôt en prenant les accusations anonymes comme parole d’Evangile. Ce qui fut les cas pour le Rwanda en 1993 notamment en ce qui concerne le rapport d’une certaine « Commission Internationale d’enquête » qui était venue au pays pour simplement avaliser les accusations que lui avait préparées le FPR et les partis politiques internes alliés à lui ;

 Le défilé des émissaires des puissances occidentales pour soi-disant mettre en garde le régime pour des faits non vérifiés ou des intentions qui lui sont prêtées mais sans lui donner l’occasion de s’en expliquer. Au Rwanda avant son assassinat, on a vu le français Bernard Debré (janvier 1994), les belges Willy Claes (février 1994) et Léo Delcroix (mars 1994), l’américain Prudence Bushnell (mars 1994),… se relayer à Kigali pour sermonner le président Habyarimana ou pour lui dire que tout ce qui allait se produire serait de sa responsabilité, alors qu’il n’avait aucune idée de ce qui allait se produire.

Elément déclencheur

Au Rwanda en avril 1994, l’élément déclencheur pour que la rébellion tutsi du FPR entame sa phase finale de conquête du pouvoir sous le prétexte d’arrêter le génocide fut l’assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira. Au Burundi, quel sera cet élément déclencheur qui donnera prétexte à l’élite tutsi de reconquérir le pouvoir mais cette fois-ci pas grâce à un coup d’Etat classique mais par une opération qui sera baptisée « arrêter le génocide » ?
Scénario
Sans être prophète de malheur ou un voyant lisant dans sa boule de cristal, l’on peut être presque sûr que le scénario répondrait au schéma suivant :

 L’élément déclencheur serait un acte tellement émotionnel ou provoquant la population hutu de façon à entraîner quelques débordements ;

 L’élite tutsi déclencherait alors les hostilités dans des actions présentées comme des réflexes d’autodéfense ;

 Des unités de l’armée rwandaise longtemps avant en alerte et prépositionnées interviendraient alors en force pour s’emparer des centres du pouvoir d’Etat du pauvre Burundi, mais sous le prétexte « d’arrêter le génocide ».

 Non seulement l’intervention du Rwanda serait approuvée par la communauté internationale, mais serait appuyée par certains pays et même l’ONU qui cette fois-ci dirait qu’elle a autorisé le Rwanda à aller « arrêter le génocide » au Burundi, se rachetant ainsi de son inaction de 1994 au même Rwanda.

Les Burundais tomberont-ils dans le piège ?

On l’a vu, tous les ingrédients sont en place pour que les Tutsi reprennent le pouvoir au Burundi et ainsi enlever cette épine dans le pied de Paul Kagame et de Museveni qui il y a peu a prétendu que toute la région des Grands Lacs était désormais sous la domination des « Hima-Tutsi ». Mais pour que le gouvernement actuel du Burundi ne tombe pas dans le piège qui est en train de lui être tendu, il devrait d’ores et déjà prendre le taureau par les cornes. Ces faux rapports qui parviennent au Conseil de Sécurité devraient être rendus publics et décortiqués et leurs auteurs confondus, sans quoi déclarés des faux et officiellement pris comme tels. L’on se souvient des fameux Fax de la MINUAR à Kigali que le général Dallaire aurait envoyé en janvier 1994 et qui signalaient des préparatifs d’un génocide mais qui par la suite se sont révélés inexistants ou de grossiers faux.

La meilleure défense étant l’attaque, pourquoi le gouvernement burundais ne mettrait-il pas aussi en garde la Communauté Internationale que si le scénario rwandais de 1994 était rejoué à Bujumbura, elle en serait responsable ?

A Bon Entendeur, Salut.

Fidens Nzobaha