Beate Klarsfeld interpellée sur sa participation à une Conférence sur le Burundi

A l’attention de Mme Beate Klarsfeld

Invitée à la conférence organisée à Paris (France), le 03.02.2018

Sur le thème : « Crise au Burundi : la responsabilité de protéger »

Appréciation de Perpétue Nshimirimana

Lausanne (Suisse), le 2.02.2018

Chère Madame,

Avant tout propos, je vous exprime mon sentiment de profond respect pour votre parcours exemplaire de protestation contre l’amoralité de vos frères. Depuis plus de cinquante ans, l’écho de l’exploit a suscité admiration à travers le monde et prise de conscience de la nécessité de défendre les personnes contre la maltraitance et l’ostracisme.

Depuis quelques temps déjà, après la lecture de votre livre « Mémoires », publié en 2015, j’ai ressenti le besoin de vous écrire. Ce livre m’a procuré beaucoup de bien. En effet, la détermination de votre combat, mené contre ceux qui avaient décidé, dans leurs intérêts, que les victimes de la Seconde guerre mondiale resteraient à jamais confinées aux oubliettes de l’histoire, m’a rendue plus forte. Vous avez permis de briser l’assurance que la vie des criminels nazis se poursuivrait en toute tranquillité, comme si, rien ne s’était passé autour d’eux en 1939-45, comme si, six millions de Juifs n’avaient pas perdu la vie dans les pires conditions inimaginables pour un être humain, comme si, ils n’y étaient pour rien !

Originaire du Burundi, je me suis engagée1, toute proportion gardée par rapport à votre cheminement, pour que le désintérêt et la négligence, ne recouvrent pas l’histoire récente du Burundi. C’est un micro-pays, à l’étendue pas plus grande que celle de deux ou trois départements français. Il est à rappeler que des crimes, dont certains imprescriptibles, y ont été commis dans ce pays de l’Afrique des Grands-Lacs.

Ces crimes ne doivent pas être réduits à des faits divers anodins. La réalité de la situation est le constat désastreux de centaines de milliers de personnes ayant en commun le fait d’appartenir aux clans Barundi dits Hutu, exterminées méthodiquement par les Hima burundais dits Tutsi en 1962, en 1965, en 1969, en 1972-1973, en 1988, en 1991, en 1993 et les années qui ont suivi.

A ce propos, en 1985, le rapport de l’Organisation des Nations Unies au nom de Benjamin Whitaker indique clairement que deux génocides ont été commis contre les Hutu du Burundi par la minorité Hima dit Tutsi en 1965 et en 1972. Plus de Trois cent mille personnes ont été tuées du simple fait d’être nées Hutu au cours de ces années citées. A l’image des nazis exfiltrés vers l’Amérique Latine, plusieurs Hima Burundais et Rwandais dits Tutsi, co-auteurs de ces crimes et d’un recel massif imprescriptibles en 1965 et 1972-1973, coulent des jours tranquilles sans être inquiétés ni remis en cause par qui que ce soit. Entretemps, ils demeurent impunis et continuent de nuire activement depuis cinquante ans ! Aucun d’entre eux n’a encore été traduit devant la justice des hommes pour répondre de ses actes.

Madame, Votre présence est placée en premier à la conférence du 3 février à Paris, intitulée « Crise au Burundi : la responsabilité de protéger ». Votre nom, mis en relief par les organisateurs, vous confère le titre de « Grand Témoin » pour accréditer la pertinence de leur initiative. C’est pour cette raison que je me suis sentie autorisée à dresser une appréciation. C’est d’abord, cette idée de se jouer de vous, en vous conviant à cette rencontre, qui m’interpelle. Mais, c’est aussi, la tentative de manipulation/altération de l’Histoire du Burundi par un groupuscule.

De mon point de vue, ce groupuscule tente de profiter de votre crédit moral reconnu et d’abuser de votre bonne foi. Il tente de faire des amalgames, en cherchant à calquer sur des schémas éprouvés, de figer des similitudes entre les violences survenues au Burundi suite au putsch manqué du 13 mai 2015 et celles de l’Holocauste contre les Juifs lors de la seconde guerre mondiale. La disproportion est flagrante ! A l’opposé du contenu implicite de l’annonce de cette rencontre, l’histoire des épisodes sanglants au Burundi ne commence pas en 2015. Tenter de gommer de l’esprit du public tous les crimes commis auparavant, ne peut en aucun cas œuvrer pour la paix et la stabilité de ce pays. Bien au contraire, ce projet s’éloigne de l’objet principal de la conférence : « Responsabilité de Protéger ! ». A mon avis, c’est une forme de négation, une attitude insultante vis-à-vis des victimes innocentes des différents crimes commis dans l’indifférence généralisée pendant près d’un demi-siècle.

Madame, Je ressens de la révolte par cette façon de nous agresser continuellement, nous, les enfants des victimes et toutes leurs familles des clans Barundi dits Hutu et ce, en jouant sur l’ignorance des gens. Surtout, tout aussi troublant, c’est le fait que les différents crimes commis au Burundi, se soient déroulés dans une sorte de huis clos et n’aient pas suscité de grande réaction à travers le monde. Cependant, j’attire votre attention sur le fait que parmi le panel des invités de la prochaine audience, figurent des témoins des atrocités commises au Burundi notamment en 1972 comme J.F. Dupaquier et Khadja Nin, de son nom Jeannine Ntiruhwama.

Dans cette annonce de la conférence, il est question de deux mille victimes. Qui les a recensées, de quelle origine sont-elles exactement ? Des victimes Hima dits Tutsi ou des victimes des différents Clans dits Hutu ? L’altération des données commence par cette absence de clarification ! A noter, aussi, que depuis 2015, des appels alarmés de la Communauté internationale pour exiger d’agir au Burundi se succèdent les uns après les autres. Pendant ces quatre dernières décennies, cette Communauté internationale a été impassible pendant que tout un peuple en danger se faisait périodiquement décimer littéralement.

Où était-elle en 1962 ? en 1965 ? en 1969 ? en 1972/1973 ? en 1988 ? en 1991 ? Où était-elle en 1993 ? Où était-elle en 1994/1997 pendant les journées dites « Ville-morte » quand des milliers de Hutu ont été sauvagement assassinés au grand jour par les milices Tutsi « Sans-échecs » et « Sansdéfaite » ? Madame, Ce qui est déplorable et qui m’embarrasse le plus, c’est que les organisateurs de cette conférence, exploitent votre méconnaissance de la spécificité de la réalité des problèmes politiques et sociaux du Burundi. Leurs agissements relèvent plutôt de la propagande que d’une réelle tentative d’éclairer l’opinion sur ce qui se passe dans ce pays d’Afrique. Non, les Hima dits Tutsi du Burundi n’ont rien à voir avec les Juifs.

Sauf mauvaise foi, aucune comparaison n’est possible tellement la situation des uns est aux antipodes de ce qu’ont vécu les autres. Les Hima dits Tutsi ont commis au moins deux génocides au Burundi. Cet état des faits m’a toujours mis mal à l’aise, de constater le culot, avec lequel ils tentent depuis quelques années d’inverser les rôles en se faisant passer pour des victimes. A l’évidence, ils ont été les bourreaux de leurs propres concitoyens ! Je me permets de joindre à cette appréciation, en complément de lecture, un article5 publié le 1er décembre 2017 dans lequel j’exprime un point de vue sur cette imposture.

Je terminerai en vous suggérant deux questions à adresser aux organisateurs. « – Quels sont les liens entre Dominique Sopo, actuel président de SOS Racisme – caution morale et organisation invitante des personnalités et organisations internationales – et les Hima dits Tutsi Burundais et Rwandais ? » « -Les Burundais, Burundo-Rwandais et le Français témoin du génocide de1972 présents à la tribune de cette conférence, défendent-ils les Droits de l’Homme pour les Burundais, pour la diaspora Burundaise en France, ou les intérêts d’un groupuscule lié aux Hima dits Tutsi ? » Avec toute ma considération. Perpétue Nshimirimana, Ancienne Représentante Permanente du Burundi auprès des Nations Unies et des autres Organisations Internationales à Genève (Suisse) (1993-1995) Présidente de l’Association HOZA (Soutien à la scolarité des élèves burundais réfugiés ou en précarité au Burundi (1997-2012) Auteur de : « Lettre à Isidore » Editions de l’AIRE, Vevey (Suisse), 2004

 

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  1. Avec des amis et des connaissances au sein du Comité de Lutte Contre l’Oubli, à Lausanne (Suisse)
  2. Dont l’identité n’est pas très bien définie et qui défendent on ne sait quels intérêts pour le compte de bénéficiaires non déclarés.
  3. qui, opportunément, a choisi de se taire pendant de nombreuses années pour des raisons inexpliquées. Jean-Pierre Chrétien et Jean-Francois Dupaquier, Burundi 1972 : Au bord des Génocides, Editions Karthala, 1er avril 2007
  4. A propos du père de Kadja Nin, M. Ntiruhwama Jean : -Warren Weinstein, Historical Dictionary of BURUNDI, The Scarecrow Press, Inc. Metuchen, N.J. 1976, p 224 extraits : « NTIRUHWAMA, JEAN. (Traduction libre) Un Hima Tutsi (…) nationaliste engagé, mais profondément anti-Hutu et anti-monarchie. (…) ministre de l’intérieur du gouvernement Muhirwa, (…). Il a été critiqué pour de nombreuses arrestations administratives (…) Quand le colonel Micombero, un compagnon Hima, devient l’homme fort en 1966, Ntiruhwama a joué un rôle majeur vers un régime républicain mais avec une politique anti-Hutu engagée (…) » En 1967, il était le plus fervent soutien pour la création d’un seul mouvement de jeunesse, à savoir, la Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore (J.R.R.) par la fusion des Jeunesse Nationaliste Rwagasore (J.N.R.) et de l’Union Nationale des Etudiants Barundi (U.N.E.B.A.) (…)
  5. Nshimirimana Perpétue, Génocide des Clans Barundi rattachés au groupe dit Hutu par les Hima dits Tutsi au Burundi. 45e anniversaire à Lausanne (Suisse), HUIT ACTES CONCRETS – Contribution à la Commission Vérité-Réconciliation et au Mécanisme de Justice Transitionnelle. Dossier paru sur Arib info le 1er décembre 2017

Lire l’article : http://www.arib.info/45eme-anniversaire-Huit-actes-concrets-30-11-2017-PN-Texte.pdf Annexes : http://www.arib.info/45eme-anniversaire-Huit-actes-concrets-30-11-2017-PN-Annexes.pdf