El Hadj Hussein Radjabu n’est plus l’hôte du pénitencier de Mpimba depuis ce lundi 2 mars. Une opération bien menée.
Aucune porte défoncée, pas le moindre cri, encore moins pas un seul coup de feu. Coup d’essai, coup de maître.
L’évasion de ce condamné à 13 ans de prison ferme -dont huit ans déjà purgés- s’est faite en douce. Une opération bien huilée, menée de main de maître.

L’évasion est d’autant plus spectaculaire que trois autres détenus « se sont fait le mandat d’élargissement » (jargon de prison) en même temps que le plus connu des prisonniers politiques du Burundi (selon les organisations de la société civile). Il s’agit de Baudouin Ndindi Ribakare, Rémy Ndikumana et Cyriaque Irankunda, respectivement coaccusé, garde du corps et intendant d’El Hadj Hussein Radjabu. « C’est rare que les prisonniers s’évadent en groupe sans que la police les démasquent et ouvre le feu sur eux. Souvent, il y a des fuites parmi les comploteurs et le plan d’évasion avorte avant même sa mise en exécution », observe un détenu.

Alors que généralement au lendemain d’un cas d’évasion nocturne la nouvelle se répand comme une traînée de poudre au sein des prisonniers, le cas de M. Radjabu tardera à être répercuté. Jusqu’aux environs de 9 heures, même les détenus libres qui exécutaient la corvée dans la luxuriante bananeraie à l’extérieur des murs de la prison ignoraient encore que Radjabu s’est fait la belle.

Mystère sur le modus operandi

Les prisonniers divergent sur l’heure de l’opération. Les uns avancent qu’elle aurait eu lieu dimanche vers 22 h 30. Les autres disent qu’elle se serait déroulée vers les 3 heures du matin de lundi.

Mais tous sont unanimes pour reconnaître que dimanche, vers 18 heures, comme sonnait l’heure de vider la cour intérieure, M. Radjabu est rentré comme d’habitude. A part son garde du corps et son intendant qui partageaient la chambre avec lui, aucun autre prisonnier ne l’a plus jamais revu.

Toutes les sources tombent sur le fait que les évadés ont joui de la complicité des gardes de la prison qui les ont exfiltrés après avoir pris le soin de les affubler de la tenue policière.
Toutes les sources reconnaissent que l’évasion a été facilitée par le manque de courant électrique à la prison dans la nuit de dimanche à lundi.

Un communiqué laconique du ministère de la justice apprend que l’ « incident s’est produit tard dans la nuit ». Selon le même communiqué lu ce mardi 3 mars par Elianson Bigirimana, porte-parole adjoint du ministère de la Justice, ce n’est qu’après minuit que le brigadier de permanence est passé au corps de garde. Il a constaté que les agents de police Yves Niyomwungere et Désiré Nduwimana avaient abandonné leurs postes de garde. Il a réalisé aussi que les clés de la prison que conservait le brigadier de corps Ezéchiel Horicubonye avaient été jetées par terre, sous la porte de la guérite où dormaient les policiers qui attendaient leur tour de monter sur les miradors.

Fort de cet argumentaire, le ministère de la Justice relève deux « évidences » : celle d’une évasion mais non d’un enlèvement et la complicité des trois policiers. Il fait remarquer que ces policiers sont « jusqu’à présent introuvables avec leurs armes et la radio dite motorola qu’ils utilisaient ».

Des inductions à posteriori

Les sources internes de la prison nient avoir soupçonné quoi que ce soit. D’abord, soulignent-elles, M. Radjabu « avait peur de sortir après les heures réglementaires de rentrée dans les chambres », témoigne un locataire du quartier infirmerie (le quartier haut standing de Mpimba).

Les détenus se rappellent que dimanche soir, une dense fumée a été vue au quartier infirmerie. « C’était Radjabu qui brûlait ses documents », affirme un détenu.

Si l’on en croit aussi les prisonniers, à l’exception d’un réfrigérateur, il n’y avait pas d’autres effets personnels dans la chambre de Radjabu. Même M. Ndindi avait pris la précaution d’évacuer ses habits à l’insu de tous. »

Un prisonnier se rappelle aussi que M. Radjabu était tout sourire vendredi, deux jours avant l’évasion. «Musisikie woga, congrès ya Cndd-Fdd haitawezekana. Nkurunziza ! Vyake vimekwisha », lançait M. Radjabu aux prisonniers. (N’ayez pas peur. Le congrès du Cndd-Fdd ne peut pas se tenir. Les carottes sont cuites pour Nkurunziza).

« Trop c’est trop ! »

Selon les sources concordantes, dès la fin janvier, Hussein Radjabu passait sous les fourches caudines de l’administration pénitentiaire. Non seulement le prisonnier était isolé des autres détenus du quartier infirmerie mais aussi il était tenu à l’œil comme du lait au feu. Et pour cause : la foule de sympathisants qui s’était pressée à l’entrée de la prison pour saluer une libération annoncée de l’ancien homme fort du Cndd-Fdd à la fin de janvier. L’événement s’est révélé un canular.

Mais cela n’a pas été du goût du ministre de la Justice qui monta au créneau et affirma qu’une telle manifestation illégale ne peut être qu’une réponse à un appel lancé du fond de la prison par Radjabu lui-même. Pour le ministre Barandagiye, M. Radjabu ne pouvait pas être éligible à la libération conditionnelle.

« Radjabu avait accueilli ces propos par un sourire narquois », se rappelle un détenu. Et de se demander si les décisions de l’isoler et de lui refuser la libération conditionnelle n’auraient pas été la goutte qui a fait déborder le vase de huit ans d’humiliation à la prison de Mpimba.
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Un lien entre l’évasion d’Hussein Radjabu et le 3ème mandat de Nkurunziza ?

L’éventualité d’un troisième mandat divise le parti de l’aigle, y compris les anciens généraux qui en sont issus. Selon des sources à l’intérieur du CNDD-FDD, une dizaine de généraux seraient en disgrâce auprès de Nkurunziza. Car ils s’opposent à son troisième mandat. C’est le cas du Général Major Godefroid Niyombare, démis de la tête du service national de renseignement après seulement 3 mois de prestation.

Toutefois, les mêmes sources affirment que la plupart des Bagumyabanga et des hommes en uniformes sont tacitement derrière ces généraux frondeurs. Selon elles, ils auraient quelqu’un à proposer lors du congrès du parti qui désignera un candidat aux présidentielles de 2015 . El Hadj Hussein Radjabu ne peut pas prétendre à cette candidature. Toutefois, son soutien au candidat challengeur de Nkurunziza aura un impact, étant donné qu’il reste populaire au sein du parti.

A y regarder de près, sa sortie de la prison centrale a été minutieusement préparée. Ce n’est pas une simple opération d’un « De corps » avec deux policiers subalternes. A telle enseigne qu’on serait tenté de parler d’exfiltration et non d’évasion.

En effet, en tant que prisonnier le plus célèbre du Burundi, Hussein Radjabu était, logiquement, le détenu le mieux gardé des locataires de Mpimba. Surtout après la récente rumeur de sa libération qui a mobilisé une foule jusqu’aux portes de sa prison il y a deux mois. Quant à son éventuel enlèvement ou kidnapping, comme semblent le craindre certains, il y a lieu d’en douter. Loin d’être bête, et certainement méfiant après 7 ans d’incarcération qu’il jugeait injuste, Hussein Radjabu n’aurait sûrement pas suivi des gens auxquels il ne fait pas confiance. Et s’il a été aidé, c’est une situation qui laisse croire qu’au sein du CNDD-FDD, il y a un groupe fort qui risque de contrebalancer le pouvoir de Nkurunziza et ses acolytes. Et cela d’autant plus que cette évasion de l’ancien homme fort du Cndd-Fdd, survient après la réunification de l’UPD Zigamibanga, un parti jugé comme étant une création d’Hussein Radjabu.

Comme évadé de prison, il est clair qu’Hussein Radjabu va rater le rendez-vous de 2015 comme éligible. Mais il n’y a aucun doute qu’il sera un élément gênant pour un éventuel 3ème mandat de Pierre Nkuruniza et les ambitions de certaines grosses pointures du système Cndd-Fdd pour le prochain quinquennat.
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Qui est le de corps ?

Ezéquiel Horicubonye était le brigadier de corps de la position de la police pénitentiaire de Mpimba depuis bientôt quatre ans. Il était connu comme quelqu’un qui respectait à la lettre les instructions de ses supérieurs. C’était un policier que les détenus ne portaient pas dans leur cœur car, disent-ils, il ne rendait aucun service « de peur de se mouiller ». Pour cela, il avait peu de contacts avec les prisonniers, encore moins avec Radjabu.
Le natif de Musigati en province Bubanza fut un ancien combattant du FNL. Mais d’aucuns le soupçonnaient de rouler au service du parti au pouvoir. Quatre jours avant l’opération, il avait évacué sa famille du camp sous prétexte d’avoir un engagement familial à sa colline natale. Il avait demandé une permission pour cela au chef de poste.

L’évasion de Radjabu s’est déroulée au moment où la prison était gardée exclusivement par de nouveaux policiers qui venaient fraîchement d’être affectés à la prison de Mpimba. Ils n’étaient donc pas encore bien initiés aux usages de leur nouveau poste.
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Léopold Habarugira, le premier soupçonné

«Je demande à la police de m’indemniser pour m’avoir infligé des coups alors que je ne sais rien de l’évasion du détenu Radjabu», gémit Salvator Bizumuremyi, 20 ans, travailleur au domicile de Léopold Habarugira, un ami de longue date d’Hussein Radjabu.

Lundi, 2 mars 2015, à l’avenue du Saint-Esprit No 20 dans la commune urbaine de Gihosha. Ce jeune homme s’apprête à sortir de la parcelle lorsque quelqu’un frappe au portail. M. Bizumuremyi va ouvrir. Il tombe sur une équipe de plus de 20 policiers dehors.

Salvator Bizumuremyi prend son courage en main et leur demande l’objet de leur visite. L’équipe fonce. Elle le repousse vers l’intérieur et commence à l’interroger: « Ils me demandent qui est le propriétaire de la maison, où il est parti et à quelle heure. » Et le travailleur de répondre qu’il ne sait rien du programme de son patron. Il reçoit un coup de pied d’un policier suivi de deux gifles. Le temps d’essuyer les larmes, toute l’équipe est déjà partie.

Mais ce n’est qu’un petit répit. 12h30 min. Des voisins indiquent qu’une camionnette double cabine de la police, plaque N° A 310 A PN, débarque à son tour. Cette fois-ci, l’équipe est réduite de moitié. A la tête Pascal Harindavyi, officier de police judiciaire (Opj).

La police rentre bredouille

Un mandat de perquisition délivré et signé par Arcade Nimubona, procureur de la République en mairie est présenté à Libérate Nzitonda, épouse de M. Habarugira. Celle-ci a été avertie par des voisins qui ont constaté un mouvement inhabituel à son domicile.

Sur le mandat, on peut lire que cette « visite » chez Sieur Léopold (le ministère public n’a pas mentionné son nom, ni l’adresse, ndlr) est de nature à fournir des éléments utiles pour l’instruction du dossier sur l’évasion d’Hussein Radjabu. Il est en outre demandé à l’Opj d’effectuer une fouille-perquisition à l’endroit indiqué, de pénétrer à l’intérieur de la maison pour y chercher les évadés et de transmettre le rapport après cette mission.
Après avoir lu le document, la patronne demande alors à l’Opj d’attendre qu’elle appelle le chef de quartier Gihosha pour servir de témoin. La fouille durera à peu près 15min. Aucun évadé n’a été trouvé dans la maison. Et Libérate Nzitonda de demander au gouvernement de laisser les gens tranquilles: « Nous sommes fatigués. »